Sadismus Jail
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Venez vivre la vie mouvementée des prisonniers de Sadismus.
 
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 Vertige [Adeline]

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Adélie Roche
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Adélie Roche


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MessageSujet: Vertige [Adeline]   Vertige [Adeline] Icon_minitimeSam 23 Aoû - 19:01

Vertige...

Je ne sais pas ce qui m'a pris.
J'étais dans ma cellule. Seule. Comme toujours. Les autres prisonniers étaient sortis depuis un long moment, pendant que je feignais dormir. Je m'étais sommairement nettoyé le corps à un espèce de robinet, puis je m'étais assise dans un coin de la cellule, près de la fenêtre. L'air froid s'engouffrait par raffales. J'ai fixé le sol, la porte, le vide. Pendant un long moment. J'ai pensé à ce que je faisais dans cette prison. J'ai pensé à mon existence minable, à ma vie de merde. Oui, je suis une merde. Aucun doute. Je ne connais toujours rien de cette prison. Ou si peu... J'ai réussi à sortir deux ou trois fois pour aller au réfectoire, à des horraires où il n'y avait pas trop de monde. Je me suis efforcée de n'y croiser personne. J'ai encore maigri. Mon uniforme est vraiment trop grand, à présent. Je ne dois pas peser bien lourd... Mais c'est plus fort que moi. La plupart du temps, je ne parviens pas à me convaincre de sortir. J'ai trop peur...
Je me suis demandé si ma vie s'améliorerait un jour, autrement dit si j'allais évoluer. Parce que ma vie pourrait être agréable, si je n'étais pas aussi conne et merdique. La preuve, mes parents ont l'air relativement heureux... Enfin ils avaient l'air heureux avant de découvrir qui j'étais vraiment. Depuis, ils ont été emplis d'incertitude, d'incompréhension. Ils sont stressés. Ils aimeraient comprendre. Mais n'y parviennent pas. Depuis mon départ, ils doivent penser que tout va bien. Et eux-mêmes doivent se sentir mieux. Plus légers, sans doute... Peut-être plus heureux. Est-ce qu'ils pensent à moi ? Oui, sans doute... Ils doivent se demander pourquoi je ne téléphone pas. Peut-être m'en veulent-ils... Merde, j'avais promis de donner des nouvelles ! J'avais promis de changer... De trouver un travail... Mais non, je suis toujours la même sous-merde, je suis en taule et je ne téléphone pas !

J'ai trop pensé, je me suis trop pris la tête, assise dans un coin de ma cellule, les genoux ramenés contre ma poitrine.
Les battements de mon coeur ont commencé à accélérer.
La petite pièce s'est mise à tourner. Des étoiles dans les yeux.
Puis les larmes ont coulé. Une, puis deux.
Et puis les autres ensuite.
Pardon... Je me suis excusée en silence tout en pleurant. Pardon maman, pardon papa, pardon tout le monde. Je m'en veux tellement d'être moi... J'aimerais tant pouvoir changer, évoluer, devenir quelqu'un de bien ! Mais non, je suis trop lâche, trop conne, trop bornée, trop minable... Mais se lamenter ne sert à rien, je l'ai bien vu. C'est pourtant tout ce que je fais... Je pleure, je pleure encore et toujours. C'est tout ce dont je suis capable. Je pleure et attire la pitié des autres. A croire que j'aime ça, être pitoyable, être plainte, protégée... Petite chose fragile. A me voir telle que j'étais là, on aurait pu penser à une paumée ou une droguée. Paumée, je l'étais sans doute. Un vertige m'avait prise, et il ne semblait pas décidé à me laisser tranquille. Si j'avais été debout, je crois bien que je serais tombée. Mais non, j'étais une loque, affalée dans un coin du mur.

Puis j'ai pris une décision sans la prendre. Je pense que c'est plutôt la décision qui m'a prise. Je ne sais pas quelle lubie j'ai eu subitement, mais je me suis levée, prenant appui sur le mur. Les larmes coulaient toujours et roulaient dans mon cou. La cellule tournait toujours. Mais je suis sortie. J'avais faim, je voulais aller au réfectoire. J'ai donc commencé à partir dans la direction de cet endroit que j'avais toujours fui. J'ai fait quelques pas. Le couloir était désert. Puis j'ai fait demi-tour. Je ne voulais pas y aller, finalement. Non, je n'en avais pas le courage. Je suis retournée vers la porte de ma cellule. Puis j'ai fait demi-tour, une nouvelle fois. Manger. J'avais faim. Mais je ne voulais pas y aller. Que faire ? Le couloir tournait. Je voulais retourner dans ma cellule, me couler dans mon lit et dormir. Rien de plus. Pourtant, je me suis mise à marcher. Dans une direction incertaine. J'ai marché en titubant. J'ai marché longtemps, au hasard des couloirs. Dès que j'entendais des bruits de pas ou de voix, je m'arrangeais pour trouver un coin d'ombre où me cacher. Je ne voulais voir personne. Normal. Je ne veux jamais voir personne. On le saura. On le sait déjà, d'ailleurs...
Puis j'ai vu des escaliers qui descendaient. Je ne les avais jamais vus, je ne savais pas où ils menaient. Je suis descendue, me traînant contre le mur. Je me suis retrouvée dans un couloir plutôt sombre. Je ne savais pas où j'étais. On peut dire que je me suis réveillée, complètement perdue. Je ne délirais pas, pendant tout ce temps où j'ai marché, mais je ne savais pas non plus ce que je faisais. Je marchais, point. C'était comme un ordre reçu. Marche. Pas de discussion possible. Pas le choix. Comme si mon corps ne m'avait pas vraiment obéi. Il s'était mis à marcher tout seul, sans mon consentement, sans que je ne le lui aie demandé. Il avait marché, c'était tout. Mais là, je me suis retrouvée dans un couloir inconnu. Complètement paumée. Je me suis effondrée, mes jambes n'avaient plus la force de me porter. Et tout tournait encore. Mes larmes avaient séché. Je suis restée là un moment. Un long moment. Je ne sais pas combien de temps. Il faisait noir. C'est tout ce que je sais.

Le temps a passé.
Je n'ai pas bougé.

Je suis toujours là, assise contre un mur un peu glauque dans un couloir sombre.
Je repense à ma vie. Sans surprise, mes larmes se mettent à couler. Une, deux. Pas plus. J'en ai marre de pleurer. Bien que je ne contrôle pas vraiment. Je n'en peux plus de tout ça.
Je me souviens d'un jour, dans ma chambre. Quelques jours après le jour où j'ai abandonné la fac. Un soir... J'avais passé toute la journée dans mon lit, feignant être malade. Mes parents avaient appelé un médecin, qui n'avait pas trouvé ce que j'avais. Baisse de régime, peut-être une légère anémie. Il fallait faire des analyses. Que je n'avais pas faites. Toute la journée durant, j'avais regardé par la fenêtre, regardant la vie, dehors. Et j'avais déprimé, aussi. D'une manière assez violente, il faut bien le dire. Mes parents n'étaient pas là. J'avais frappé ma tête contre le mur plusieurs fois. J'avais frappé la porte de mes poings jusqu'à ce que la douleur soit insupportable. J'avais brisé un miroir de mes mains. Plus tard, je raconterais à mes parents que j'avais perdu l'équilibre, à cause du vertige. Et puis j'avais pris un morceau de verre et l'avais détaillé sous toutes les coutures. Un désir était monté, j'avais caressé mes poignets de ce morceau de miroir.
Ce soir-là, j'ai voulu mourir.
Mais je ne suis pas allée jusqu'au bout. Je n'en ai pas eu le courage. Au fond, c'est peut-être mieux. On dit que la vie, c'est sacré. Encore faut-il la respecter, ce que je ne fais pas. Si je la respectais, je n'agirais pas envers moi comme je le fais. C'est évident. A quoi bon vivre si c'est pour être celle que je suis ? Je dérangerais sans doute moins de monde, si j'étais morte. Mes parents me pleureraient, puis ils se diraient que je suis plus heureuse. Et eux seraient plus heureux, également.
Merde, comment je peux penser ça ??
Egoïste, tu n'es qu'une égoïste !
Encore une larme. Une de plus.

Une alarme retentit, me fait mal à la tête. Il doit y avoir un haut-parleur tout près de moi. Envie de crier "Ta gueule !", mais je n'en fais rien. Je ne bouge pas. Je me demande ce que c'est. Je l'ai déjà entendue, cette alarme. Tous les jours à la même heure. Le couvre-feu, sans doute. A moins que ce ne soit un glas indiquant chaque jour de nouveaux morts... Non, le couvre-feu, Adélie. Le couvre-feu. Merde, je devrais pas être là ! Mais c'est trop tard, hors de question que j'y retourne ! Je veux pas affronter mes voisins de cellule. Non, je ne peux pas ! Ca fait trop de temps que je suis là sans leur adresser la parole, ils doivent m'en vouloir... Je peux pas, c'est au-dessus de mes forces ! Merde, mais quelle conne ! Pourquoi je suis sortie ? Pourquoi j'ai marché ? Je sais même pas où je suis ! Si ça se trouve, je suis dans un coin totalement interdit aux prisonniers ! Sérieux, je suis débile, il n'y a pas d'autre explication !
Bon, restons calme.
Je ne vais pas bouger. Avec de la chance, je ne verrai personne. Reconnais que c'est relativement calme, ici. Ca faisait longtemps que je ne m'étais pas sentie autant en sécurité. Et au pire, si un gardien me trouve, je dirai que je me suis perdue et assoupie. Avec mon air de paumée, il n'aura aucun mal à me croire. Normalement... J'espère.
Je reste donc assise dans ce couloir, sans bouger. Et je ferme les yeux. Le tournis s'en va. C'est toujours ça de pris. Mais quelque chose me dit qu'il reviendra à l'instant où j'ouvrirai à nouveau les yeux.
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Adeline Rose
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MessageSujet: Re: Vertige [Adeline]   Vertige [Adeline] Icon_minitimeJeu 28 Aoû - 13:29

Encore un jour comme les autres. Je dois faire une ronde habituelle et la prochaine sera dans deux heures. Je longe les couloirs vides humides et tristes, lourds de passé affreux. Un type s'approche... Encore un homme... Pourquoi un homme ? Il me parle... Je crois qu'il est gêné, mais il me dit juste les personnes qui manquent dans leur cellule. Pourquoi me dit-il ça à moi ? Me prend-il pour une supérieure ? Il devrait pourtant voir que mon uniforme est neuf... Cet uniforme ne sert donc vraiment à rien...
J'écoute les noms énoncés par l'abruti. Aucun ne me frappe... Normal, je ne connais personne... Et puis, ils reviendront sans doute dans leur cellule, ils ne vont pas dormir dans les couloirs.
Je m'éloigne sans trop faire attention au gardien, qui s'en va lui aussi... Bien, ma ronde est terminée, je peux rentrer dans ma chambre.
Encore un va-et-vient... Habituel, normal. La roue tourne et rien ne peut l'arrêter...

J'arrive dans ma chambre et me met à l'aise sur mon lit... Je regarde celui d'à côté ; je n'ai jamais vu mon colocataire. Comment est-il ? J'espère qu'il est en tout cas différent de ces abrutis sans cervelles qui servent de gardien.
J'enlève mon uniforme et, comme j'ai un peu chaud, je me passe une lavette sur le corps. Je remets des sous-vêtements et me rends compte que les deux heures sont déjà passées. Je dois encore faire ma ronde... La dernière avant de pouvoir m'abandonner au sommeil.
J'enfile ma robe, je pose mon chapeau sur ma tête et je jette le badge de gardien dans un coin de la pièce, près de mon lit. Encore une soirée froide et sombre à l'horizon.
Quel horizon ? Il n'y a plus d'horizon dans cette prison...
Il est tard maintenant... Une alarme horrible retentit et me donne un frisson de malaise. Comment pouvons-nous vivre avec ça comme signe de sommeil ? Pas étonnant après qu'il y ait des plaintes après... Des plaintes des gardiens bien sûr. Les prisonniers n'ont jamais le droit de se plaindre au directeur... Le directeur ? Y en avait-il vraiment un dans cet établissement ?

Peu importe... C'est l'heure de ma ronde et je m'y plierai... Je ne suis pas une rebelle... Je suis un mouton noir, qui tente de suivre la troupe sans se faire remarquer. J'ai tué et personne ne le voit, peut-être pourrais-je recommencer...
Idioties, les dalles doivent être observées jour et nuit par des caméras minuscules intégrées... Ou alors peut-être que le directeur s'en fout de tout. Une émeute ? On tue tout le monde, il reste tranquillement dans son bureau et voilà...

Ces pensées me dégoûtent, je secoue la tête, passant mes cheveux derrière ma robe et replaçant mon chapeau sur le dessus de mon crâne. Je sors à nouveau de la pièce et je regarde un peu aux alentours. Personne... Ah si, il y a toujours ce type qui arrive en courant vers moi.


"Madame, Madame, une prisonnière n'est pas dans sa cellule. C'est terrible, elle pourrait tenter de s'enfuir, de tuer quelqu'un de... Je vais mourir, Madame!"

Je le regarde avec pitié. Comment peut-on être aussi idiot ? Ce n'est pas possible... Ce type ne peut pas être humain...
Une marque rouge sur sa joue, de la forme d'une main... de ma main. J'ai quelques fourmis dans ma paume, mais je crois que ça lui a fait du bien. Je prend une voix imposante et lui parle calmement.


"Bien, maintenant vous retournez dans votre chambre. Je vais retrouver cette prisonnière, ne vous en faites pas. Dormez tranquille, ce n'est pas aujourd'hui que vous allez mourir... Sauf si vous ne me laissez pas tranquille."

Il me regarde avec de la peur sur le visage. Combien de fois ai-je déjà vu cette peur ? Chaque fois que je menaçais un homme, il savait que je pouvais le faire. Le gardien se recule et, comme un chien apeuré par un peu de pluie, il fuit en courant le plus vite possible.
Mais... je n'ai pas rêvé, il m'a appelé "Madame". Étrange... je ne me suis jamais imaginé quelqu'un me disant "Madame". Peu importe. Je m'avance et regarde par terre. Le type a laissé ses notes avant de fuir. Je regarde le nom : "Adélie Roche".
Quel drôle de coïncidence. Nos noms sont plutôt proches l'un de l'autre. Je m'en amuse et pose le dossier sur un mur. Puis je parcours les couloirs un à un.

Je remarque au bout d'un petit couloir semblant sans issue, un escalier qui descend. Je l'emprunte et m'enfile dans les ténèbres du sous-sol. Les ténèbres ? Non, c'est encore un peu illuminé. Mal, mais illuminé tout de même. Et j'entends une respiration dans le silence de la nuit.
J'ai trouvé la fugitive, je place ma main sur mon holster... Mon holster ? Je l'ai laissé dans la chambre. Quelle idiote.
Je m'avance alors tranquillement et je me pose en face de la respiration. Une lampe qui se balance dangereusement illumine par à-coups le visage de la prisonnière. Elle est jeune. Elle est jolie.
Je souris et m'aperçoit qu'elle dort. Ou en tout cas le semble-t-elle.
M'approchant doucement d'elle, je m'adosse contre le mur et m'assied à ses côtés. Je regarde la lampe grincer en se balançant... Quelques moustiques se baladent dessus, grillent et meurent pour ne plus jamais revoir cette douce lumière blanche.
Au bout de quelques secondes, je murmure quelques mots pour ne pas la réveiller trop brutalement :


"Bonjour... Est-ce que tout va bien ?"


En effet, je n'arrive pas vraiment à savoir si elle est endormie ou évanouie. Je regarde la jeune femme, attendant une réaction. Le seul bruit qui vient perturber le silence avant sa réponse est le grincement doux de la lampe...
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Adélie Roche
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MessageSujet: Re: Vertige [Adeline]   Vertige [Adeline] Icon_minitimeJeu 28 Aoû - 15:45

Des bruits de pas viennent briser mon cocon de silence.
Et merde, je suis plus seule.
Je ne bouge pas. Faire semblant de dormir... Un moyen de défense, le seul que j'ai trouvé ici. Mais il y a un moment où dormir ne suffit plus. Je ne sais pas où je suis, mais je sais que je ne devrais pas y être puisque le couvre-feu a sonné. C'est sans doute un gardien... Et cette lampe proche de moi, que je n'avais pas remarquée... Pourquoi n'ai-je pas choisi un lieu plus sombre ? Quelle conne.
C'est sinistre.
Une lumière faiblarde et changeante, quelques grincements. J'ai subitement envie de partir en courant, loin d'ici. Mais je ne le ferai pas. Pour de nombreuses raisons. Déjà, je ne sais pas si j'aurais la force recquise pour courir. Ensuite, je ne devrais pas être là et les gardiens sont armés. Je pense. Et pour finir, je ne veux pas retourner dans ma cellule alors que le couvre feu a sonné. C'est simple. Il faudra bien que j'y aille... Mais lorsqu'on me l'aura demandé. Pas avant. Je n'ai pas la force morale de prendre cette initiative. Les contraintes sont une bonne chose, parfois. J'espère juste que le gardien qui approche n'est pas quelqu'un de... dangereux, dirons-nous. Le nom de cette prison me fait froid dans le dos. Je ne l'avais pas remarqué quand j'ai postulé, mais ce nom laisse supposer bien des choses... Et des choses pas franchement rassurantes. En particulier, les gardiens ne sont sans doute pas des agneaux comme je l'aurais été si j'avais eu le poste. Mais il doit bien y en avoir un ou deux de normaux... Non ?
Les bruits de pas se rapprochent. Je n'ose pas bouger.
Feindre, toujours feindre.
Le plus simple, le plus rassurant.
J'ai peur.
J'entrouvre les paupières, mais c'est sombre. Une femme. Je vois sa robe. J'ai un peu moins peur. C'est idiot, mais je suis moins intimidée par les femmes, souvent. Enfin c'est pas l'éclate non plus. Mais disons que c'est plus supportable. L'idéal serait qu'elle ne me voie pas. Mais il ne faut pas rêver. J'aurais pu choisir pire, comme endroit, mais j'aurais pu choisir mieux, aussi. Quelle idiote ! En plus, le couloir n'est pas bien large. Elle ne peut pas me rater. Je ferme à nouveau les yeux. Faudrait pas qu'elle remarque que je mens. Et j'ai pas envie que ça se remette à tourner. Je suis assez mal comme ça.
Les pas approchent toujours, ralentissent près de moi.
Bon, c'était bien de rêver, mais parfois il faut être un peu réaliste. C'était impossible qu'elle ne me trouve pas. Maintenant, si j'ai de la chance elle me raccompagne dans ma cellule. Sinon... Je n'ose même pas imaginer ce qui devrait se trouver après ce mot, 'sinon'.
Pas un mot. La gardienne ne bouge plus, ne parle pas. J'ai peur. Mais je ne bouge pas non plus. J'attends.

Et là, surprise. La voilà qui s'assoid à côté de moi. J'entends le léger frottement de ses habits sur le mur. Elle est vraiment proche de moi. J'aimerais m'écarter. Mais je suis censée dormir. Et elle pourrait se vexer. Je n'ai pas envie de me mettre les gardiens à dos. Tant qu'à faire. Je préfère avoir des amis que des ennemis. Etrange, non ?
J'ai peur.
La nouvelle venue ne bouge toujours pas. Que fait-elle ? Que pense-t-elle ? Mille question assaillent mon esprit déjà tourmenté. Que faire ? Dois-je continuer à feindre le sommeil ?
Merde, j'aime pas ce genre de situations ! J'aimerais qu'elle fasse quelque chose, elle semble avoir plus de moyens que moi... Ou alors elle est mon double, une sorte d'hallucination qui ferait tout comme moi... Si ça se trouve, elle fait semblant de dormir et attend que je fasse quelque chose. Elle ne sait pas où elle est. Elle a peur. Elle tremble intérieurement sans en laisser rien paraître.
Eh bien non.
L'inconnue est la première à briser le silence. Si elle est mon double, elle cache bien son jeu.
J'ouvre les yeux. Il faut bien. Je ne vais pas non plus lui faire croire que je suis morte !
Pas de chance, le vertige est toujours là. Je tourne la tête vers la jeune femme – avec une certaine difficulté, il faut bien le reconnaître. Elle est jeune, je pense qu'elle doit avoir à peu près mon âge. Enfin je ne suis pas douée pour déterminer l'âge d'une personne... Peut-être cela vient-il du fait que moi-même, je ne fais pas mon âge... Mais peu importe. Etonnant, cette femme – finalement je ne suis plus tellement sûr qu'il s'agit bien d'une gardienne – porte une robe noire et une sorte de chapeau melon. Il lui va bien, cela dit. Mais avouons que c'est peu fréquent. En particulier au fond d'une prison.
Allez, ma vieille ! Réponds quand on te parle !
Je n'ai pas trop envie de parler, là. D'abord parce que je ne sais pas quoi dire. Ca va ? Non. Ca ne va pas. Pas du tout, même. Mais je n'ai pas envie d'expliquer pourquoi ça ne va pas. Tout le monde s'en fiche de me comprendre. Je suis incompréhensible, de toute façon. Mentir ? Je ne sais pas mentir. Alors quoi ? Déjà, faire celle qui émerge. Je crois que je ne me débrouille pas trop mal, le vertige aidant. Ca, c'est fait. Elle m'a saluée. La politesse veut que je lui rende son salut. Allez, un petit effort. C'est pas bien dur ! "Bonjour". Voilà tout. C'est rien. On dit bien 'Simple comme bonjour'. Il doit bien y avoir une raison.

« Bonjour. »

Surprise, ma voix est rauque. Je me racle la gorge.
Allez, c'est un début.
Il ne manque que la suite. Elle m'a posé une question. Je ne veux pas répondre. Détourner la réponse, c'est peut-être encore le plus simple. Mais pour dire quoi ? Que je me suis perdue ? Elle ne m'a même pas dit que je n'avais pas le droit d'être là. Si je dis ça, elle me raccompagne et c'est fini. Bonne idée. Mais je ne veux pas retourner dans ma cellule. Alors quoi ?
Je ne sais pas...
Le silence me pèse. Elle m'a posé une question. Je dois parler. C'est pas insurmontable, je l'ai déjà fait.
Je me demande toujours qui j'ai à mes côtés. Sa proximité me gène un peu, je n'ai pas l'habitude. Mais je ne sais pas ce qu'elle me veut. Gardienne ? Prisonnière ? Autre ? C'est quoi, 'autre', d'abord ? Une employée lambda ? Quelqu'un qui ne devrait pas être là ? Une hallucination ? C'est un peu du n'importe quoi, mais il faut s'attendre à tout. Déjà, le tournis, ce n'est pas franchement habituel, bien que ça m'arrive quelquefois. Et je suis dans un endroit un peu glauque... Je suis tout à fait capable de m'inventer des gens et des histoires.

« Vous êtes une gardienne ? »

C'est sorti tout seul.
Si je n'étais pas moi, j'aurais cru entendre une gamine.
Sérieux, j'ai honte. De moi. C'est triste à dire. Pitoyable.
Remarque, répondre à une question par une autre question, c'est l'idéal pour ne pas avoir à répondre franchement. J'espère qu'elle ne reviendra pas sur sa propre question. Ou pas trop vite, du moins. Parce que là, franchement, non, j'ai pas envie de répondre. Juste envie de m'endormir. Qu'on m'oublie... Oui, voilà. Qu'on m'oublie. Un peu de paix. La mort ? Le calme. Un trou de souris, un peu de noir. Et de solitude. Que je m'oublie moi-même. Que j'oublie tout le reste.
Je ne suis personne, je ne suis rien.
Et je me suis suicidée à mon arrivée.
Moins que rien.
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Adeline Rose
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MessageSujet: Re: Vertige [Adeline]   Vertige [Adeline] Icon_minitimeMar 2 Sep - 17:57

La faible lumière de l'ampoule commence à me faire mal au crâne. Le grincement devient de moins en moins audible, mais la lampe commence à faire un bruit étrange. Comme si elle allait éclater.
Cela m'énerve. Je ne sais pas si je pourrais me contenir bien longtemps avant de balancer quelque chose dessus. Je regarde la jeune prisonnière et me concentre sur elle pour oublier cet incessant grésillement.
Elle me répond d'une voix rauque. Enfin, elle ne me répond pas vraiment. Elle me dit juste bonjour et c'est tout. Un bonjour rauque, timide et plutôt étrange... comme si elle n'avait pas l'habitude de le dire.

Je me tais et la regarde toujours en face. Je ne sais pas trop quoi dire. Elle ne veut pas répondre à ma question apparemment. Elle a l'air plutôt mal en point, mais ne veut rien raconter. Soit, je ne vais pas la persécuter pour savoir ce qui la tracasse.
Les secondes passent tranquillement dans le silence de la pièce sombre et mal-odorante. Soudain, elle me demande si je suis une gardienne. Bien sûr que j'en suis une, mais je suis également prisonnière ici...


"En quelque sorte, je suis une gardienne..."

Je ne réponds que de ces quelques mots. Que répondre d'autre ? En fait, je ne crois pas être autre chose. Je suis prisonnière en étant gardienne d'une prison. Peut-on vivre avec une vie pareille ?
Je suis obligée de mentir à tout le monde... Quand est-ce que je pourrai enfin dire qui je suis ? J'ai envie de tout balancer, de me retrouver derrière les barreaux pour enfin finir cette vie de mensonge. Mais je ne le peux pas. C'est impossible si je veux pouvoir vivre. C'est une vie dans le mensonge contre une mort dans la vérité.
Peut-être qu'un jour, je le dirai... Peut-être qu'un jour, je mourrai.


"Vous êtes prisonnière ?"

Question idiote... Qu'est-ce qu'un gardien ferait ici à une heure pareille ? Quoique certains gardiens sont plus étranges que les prisonniers. Je la regarde et me demande si c'est parce qu'elle veut être seule ou si c'est parce qu'elle ne veut pas aller à sa cellule.

"Est-ce à cause des autres gens dans la cellule que vous êtes là ?"


Je ne sais pas tellement quoi dire. Je ne veux pas lui demander ce qu'elle a fait pour se retrouver là. Elle ne semble pas capable de tuer et pourtant elle se retrouve dans une cellule dans la prison la plus dangereuse du monde... Je ne sais pas quoi faire. Alors je reste plantée là, assise par terre, à regarder une fille que je ne connais pas.
J'enlève mon chapeau et je me demande alors qu'est-ce qui m'a amené là. Je m'aperçois alors que c'est mon père... Toujours un homme. Les hommes sont toujours à l'origine des problèmes...
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MessageSujet: Re: Vertige [Adeline]   Vertige [Adeline] Icon_minitimeMer 3 Sep - 9:51

La jeune femme me dit être une sorte de gardien. Je ne vois pas trop ce que ça veut dire. On est gardien ou on ne l'est pas. Remarquez, si on réfléchit bien, je ne suis que partiellement prisonnière. Enfin je le suis puisque je me suis laissée embarquer dans cette histoire (et quoi que je fasse, ils me diront que j'ai écrit avoir tué quelqu'un), mais j'aurais du être gardienne, à la base. Peut-être qu'il y a eu un concours de circonstances étrange pour elle aussi. Mais tout de même, ses mots impliquent qu'elle ne se considère pas comme une gardienne. Peut-être qu'elle est une sorte d'infirmière, ou quelque chose comme ça... Ou une psychologue. Quelque chose comme ça. Ce n'est pas impossible. Elle semble posée, peu agressive. Oui, je la verrais bien en psychologue.
Je ne réponds pas.
Le couloir tourne toujours et je m'efforce de fixer des yeux un coin d'ombre, pour ne pas me focaliser sur la lumière tremblottante de la lampe qui se balance doucement près de nous. Je pense que même si j'essayais, je ne tiendrais pas sur mes jambes. De toute façon, hors de question que je retourne dans ma cellule avant qu'elle ne me l'ait ordonné. Je ne veux pas y aller. Ils sont généralement à l'heure pour le couvre-feu, je crois... Et je m'en veux de ne leur avoir jamais parlé. C'est entièrement ma faute s'ils ne m'ont pas adressé la parole. Je n'ai rien à leur reprocher. Je me hais.
Les secondes s'égrènent dans un silence troublé par les grincements sordide de la lampe. Je ne veux plus être ici, je veux rentrer chez moi, me blottir dans les bras de maman puis m'enfoncer dans mon lit pour me laver de cet endroit et de mes souvenirs. Je ne suis qu'une merde. C'est de ma faute si je suis ici. Je le sais, je n'en ai jamais douté. Je n'ai pas su me mentir à ce sujet. Pas cette fois. Mais bon dieu, je voudrais être à mille lieues de ce couloir sombre, je voudrais sombrer dans le sommeil. M'endormir pour ne plus jamais m'éveiller. Vivre dans un songe sans fin aux mille couleurs, me perdre dans des chants d'oiseaux à n'en plus finir, oublier la noirceur du monde que je me crée.
Rêver.
Une larme menace de couler de mon oeil gauche.
Non... Pas maintenant !
J'avance doucement la tête puis la recule un peu brusquement pour la cogner contre le mur. Pas fort, juste assez pour avoir un peu mal, pour me secouer.
Vertige...

La gardienne me parle à nouveau. Une question. Suis-je une prisonnière ? Je ne la regarde pas, je fixe l'ombre avec intensité. Drôle de question. Mais vu comme je suis recroquevillée, elle n'a pas du faire attention à mon uniforme... D'autant plus que la lumière n'est pas des plus vives ni des plus claires. Je lui montre mon vêtement. Oui, je suis une prisonnière. Je porte leur tenue grise. Ma tenue grise quinze fois trop grande. Mais je fais l'effort de lui répondre tout de même, parce que c'est poli de répondre quand on nous parle :

« Oui... »

Ma voix meurt. Je ressens comme un ton d'excuse dans ce mot prononcé à voix basse. Un pardon demandé à demi-mot. Désolée, je vous donne du travail. Je sais que je ne devrais pas être là. Mais je ne veux pas y retourner, vous ne pourriez pas comprendre... Je sais qu'elle finira par me demander de retourner dans ma cellule. Quand ? Je l'ignore. Le plus tard possible, j'espère. Je préfère repousser l'échéance au maximum, même si ce n'est que de quelques secondes. Parce que je n'ai pas la force d'affronter mes peurs et mes cauchemars. Peut-être que je devrais lui parler, à elle... Elle saurait quoi faire. J'ai envie de croire qu'elle est psychologue. Même si je ne sais pas me confier. Parce que j'ai envie de penser que je peux guérir, même si je n'y crois guère. J'ai envie de pouvoir être optimiste et de ne pas crever de solitude – et d'inanition, au passage, n'oublions pas que je n'ai pas mangé depuis plusieurs jours et que cela a tendance à se reproduire trop régulièrement –, toute seule dans un coin sombre de cette prison. Je suis trop jeune pour mourir. Et je ne veux pas que ma mort ressemble à ça. J'ai trop peu vécu et il me reste un paquet d'années. Pour Vivre.
Désolée.
Je lui fais perdre son temps.
Je fais perdre son temps à tout le monde.
Par la pitié et le ridicule que j'inspire.
Par le fait que je ne suis bonne à rien. Sauf à pleurer. A me plaindre. A geindre.
Je ne vis pas, je ne meurs pas, je ne suis qu'une espèce de zombie tout juste capable de faire perdre son temps à une gardienne qui n'a rien demandé à personne.

Le silence n'a pas le temps de se poser vraiment que la gardienne me pose une nouvelle question. Je lève les yeux du sol à contre-coeur pour la regarder, étonnée, les yeux presque écarquillés. Aurait-elle lu dans mes pensées ?
A nouveau, je pense à cette idée idiote de double hallucinatoire. Et si elle était celle que je devrais être si je n'avais pas fait la connerie d'être trop docile ? Elle ne me ressemble pas vraiment, elle fait un peu plus... adulte. Plus posée aussi. Mais la manière dont elle m'a abordée... J'aurais pu croire au fantôme d'une Adélie perdue et prête à renaître. Une Adélie changée d'un avenir incertain. Pourquoi pas ? Une idée à creuser.
Mais pas maintenant.
Je me tais. Oui, c'est à cause d'eux. Mais je ne veux pas le dire. Je ne sais pas pourquoi.
Au fond, ils ne m'ont rien fait. C'est plus à cause de moi que je ne veux pas y aller. Mais c'est parce qu'ils y sont. Parce qu'eux ne feront pas semblant de dormir à mon arrivée. Je ne pourrai pas me couler entre mes draps sans un mot et sans un regard pour eux, comme s'ils n'étaient pas là. Ca ne se fait pas. Je ne veux pas le faire. Mais je le ferai sans doute.
Pas maître de moi...

« Oui... »

Je me rends compte que je n'aurais peut-être pas du dire ça. Je ne veux pas que mes voisins de cellule aient des ennuis à cause de moi. Ils n'ont rien fait de mal. C'est moi qui ai tout foiré. C'est tout. J'en suis consciente, je me sens entièrement responsable. Et il y a de quoi. Je suis la seule responsable. L'unique.
Une merde, un rien.
Je ne sais pas trop comment ça fonctionne dans cette prison, puisque je suis relativement nouvelle, mais une chose est certaine, il est hors de question que j'attire des ennuis à des inconnus. Parce que je ne pourrai plus me regarder dans un miroir, si je fais ça. Déjà que j'ai du mal... Et aussi parce que je ne veux pas me faire d'ennemis, accessoirement. Je n'ai pas la carrure pour supporter ça. Je m'empresse donc d'ajouter :

« Ils n'ont rien fait, mais... »

Mais quoi ? Mais rien du tout. Je ne veux pas les affronter, c'est tout. Si j'y retourne, je gagne la crise de panique. Et c'est tout. Je n'aurai pas le courage de leur parler, de toute manière. Peut-être vaudrait-il mieux que j'aille à l'infirmerie. Mais je ne suis pas malade, ils s'en apercevront vite. De toute façon, je ne demanderai jamais à ce qu'on m'accompagne à l'infirmerie. A la limite je peux montrer que j'ai le tournis... Mais j'ai pas spécialement envie d'aller à l'infirmerie, en fait. J'aurais préféré pouvoir rester dans ce couloir, toute seule. Mais il fallait se douter qu'un gardien finirait par venir. Ce n'est pas pour rien qu'il y a un couvre-feu. Les gardiens sont là entre autres pour le faire respecter. Il ne faut pas rêver, je ne fais pas exception.
Je veux rester là, je ne veux pas partir. Je ne veux pas remonter à la surface. Pas maintenant. Je veux juste dormir...
Je voudrais appartenir au passé, je voudrais n'être qu'un rêve. Le cauchemar bientôt oublié d'une fille épanouie, d'une fille normale. Je voudrais être capable d'être l'avenir de ce mauvais rêve, de ce mauvais pas. Avancer, évoluer, grandir. Chacun en est capable. La nature fait de même, elle aussi. Alors pourquoi pas moi ? Pouvoir me réveiller, un matin, et chasser ce cauchemar comme on chasse des mouches.
Juste.

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MessageSujet: Re: Vertige [Adeline]   Vertige [Adeline] Icon_minitimeSam 6 Sep - 15:02

La lumière devient de moins en moins éclairante tout en faisant gagner au grésillement de l’intensité. Il m’énerve encore plus et je regarde l’ampoule branlante, menaçant de tomber à chaque seconde. Ils ne peuvent pas vérifier leurs couloirs pour remplacer cette saleté d’ampoule ? Enfin… peut-être pas maintenant. Je ne sais pas pourquoi, mais j’aime la compagnie d’Adélie. Je ne peux pas dire qu’elle soit rassurante ou conviviale, mais j’ai tellement l’impression de me retrouver il y a quelques années… C’est une sensation étrange et tellement agréable que je n’ai pas envie qu’elle s’arrête par la venue d’un gardien bourru et idiot.
J’entends soudain un petit bruit sourd provenant d’Adélie. Pourtant, en tournant la tête, je ne vois rien d’anormal. A vrai dire, je ne vois plus grand-chose, la lumière commence à faiblir de plus en plus. Elle s’éteint par à-coups dans des bruits peu rassurants.
Elle ne semble pas le remarquer. Peut-être ne fait-elle pas attention à ce qui l’entoure. Ou uniquement à ce qui l’entoure de près. Quoi qu’il en soit, elle me répond d’une voix frêle et mourante.
Je voulais juste être sûre que c’était bien Adélie qui était en face de moi. Il semblerait que ce soit le cas. Mais elle ne semble pas pressée de retourner à sa cellule. Pourquoi, au fait ? Elle répond à cette question quelques secondes plus tard. C’était à cause des autres prisonniers de sa cellule qu’elle s’était isolée. Puis, comme si elle s’en voulait de l’avoir avoué, elle précise qu’ils n’ont rien fait.
Elle doit être relativement nouvelle et n’a pas envie qu’on lui pose trop de questions. Elle a peut-être juste envie d’être seule, pouvant dormir quand elle veut et que personne ne la dérange. Je ne sais pas si je peux rester ou non, mais je ne bouge pas.

J’ai oublié la différence de statut qui nous sépare. J’ai oublié mon grade de gardien et son état de prisonnière. J’ai oublié tout cela, simplement. Je me suis placée en amie réconfortante, en soutien psychologique. Je me suis placée en épaule rassurante. Je me suis placée en femme normale, tout simplement normale.
Je voudrais la rassurer, la protéger, mais je ne peux pas. Je ne trouve pas les mots pour la consoler. Et ce n’est pas maintenant que je les trouverai.
La lumière s’éteint pour de bon et la pièce est plongée dans le noir. Un noir sombre, lourd de sens et de préjugés. Cette obscurité effrayante et rassurante à la fois m’enveloppe et me guide. Cette noirceur caractéristique de l’isolement…

Mais l’isolement ne dure pas longtemps. Des bruits de pas s’approchent. Quelqu’un approche. Un gardien, sûrement. Je n’ai pas envie que l’on me trouve là. Me suis-je maintenant placée en temps que fugitive ? Je ne le sais pas et je m’en fiche totalement. La seule chose qui me préoccupe est de ne pas rester là. Je dois trouver un moyen de fuir. Autant pour moi que pour Adélie.
Si on la trouve ici, on la renverra dans sa cellule, peut-être même brutalement. Je ne peux pas accepter ça. Je la prends par le bras, la lève et lui murmure :


« Quelqu’un vient. Il ne faut pas rester ici. »

Peut-être a-t-elle envie de rester ici, tout compte fait. Peut-être veut-elle que quelqu’un lui dise quoi faire. Peut-être veut-elle qu’on la renvoie de force dans sa cellule. Mais j’en doute.
Qui le voudrait d’ailleurs ? Les pas viennent de la direction opposée à l’escalier. Je marche donc d’un pas rapide vers l’escalier.
Je ne sais pas si elle peut suivre, mais cela vaut mieux que de rester ici. Je m’excuserai plus tard. Pour l’instant, nous devons partir. Fait étrange, la lumière semble s’être éteinte partout. J’emprunte la première marche et avance plus tranquillement pour qu’Adélie ait le temps de suivre.


« Désolée »

Je murmure des mots d’excuse pour ce que je lui fais endurer. Elle va sûrement me détester après ça, mais au moins elle pourra être seule. Elle ne sera pas obligée de retourner dans sa cellule.
Je ne comprends pas trop ce qui m’arrive. Je suis un peu comme une amie, du moins je crois. Je veux la protéger, au détriment même de son estime. Peut-être va-t-elle me haïr, mais je dois faire ce que je fais.

Je reprends ma marche alors qu’on arrive en haut des escaliers, tant bien que mal. Puis, perdue dans mes pensées, j’emprunte le chemin qui m’est le plus naturel. Nous longeons des murs dont je connais les briques. Nous passons des portes dont je connais les bruits. Et nous entrons enfin dans une salle.
Il n’est pas là, parfait. La lumière revient alors que je ferme la porte. Pourquoi l’ai-je amenée ici ? Que m’est-il passé par la tête ? Je ne sais pas. Je crois que je deviens folle. Mais peu importe, nous avons échappé aux gardiens. Je pose mon chapeau délicatement sur la table et m’assied sur mon lit.


« Excusez-moi de vous avoir traînée jusqu’ici. Je… Pardon. »

Elle doit me prendre pour une folle. Peut-être le suis-je réellement, peut-être suis-je simplement idiote. Je ne sais pas ce qui m’a pris. Je ne pouvais pas faire autrement… Je la regarde d’un air peiné. Je suis une gardienne, nom d’un chien. Pourquoi je me comporte comme ça ? Quelle idiote. Je vais me faire renvoyer puis on va découvrir la supercherie. C’est inévitable… Je serai alors derrière de froids barreaux, comme Adélie. Et je désirerai être seule, comme Adélie. Et je me réfugierai dans un endroit sombre… comme Adélie.

« Ce… c’est ma chambre. L’autre n’est pas là -Je désigne le lit vide- . Si vous ne voulez pas retourner dans votre cellule, vous pouvez rester ici. Si vous ne voulez pas rester ici, je ne vous retiendrai pas. Je… Je suis désolée. »

Et voilà, encore des excuses. Uniquement des excuses. Mais que suis-je ? Je suis pitoyable. Je suis censée être une gardienne et je me comporte comme une gamine à peine sortie de primaire. Mais je ne peux pas me reprendre… Je suis obligée de rester comme je suis. Personne ne peut me changer… Je crois que personne ne peut me comprendre non plus. Personne ne peut comprendre que c’est de la faute des hommes qui m’entouraient si je suis là. Ce n’est pas de ma faute… Mais à qui expliquer cela ?

« Vous pouvez prendre mon lit si vous voulez dormir. »

J’ai lâché ça machinalement. J’ai une voix monotone, presque triste. Je ne sais pas ce qu’il m’arrive. Je m’assois à terre et j’enlève mes chaussures. Je pose mes pieds nus sur le sol froid. Je soupire un bon coup et regarde aux alentours. J’aperçois deux verres propres qui traînent près du lavabo. Je fais couler de l’eau pour qu’elle soit assez froide et remplis les deux verres. J’en tends un à Adélie et je me repose à terre. Je ne sais vraiment pas quoi faire… Enfin bon, il faut que j’en profite. C’est sûrement ma dernière soirée du bon côté des barreaux…
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MessageSujet: Re: Vertige [Adeline]   Vertige [Adeline] Icon_minitimeDim 7 Sep - 18:52

La gardienne ne répond pas. J'espère qu'elle n'a pas relevé et que je n'ai pas attiré des ennuis à mes compagnons de cellule. Ce serait la meilleure, que je ne leur adresse pas la parole mais que je raconte que si je ne vais pas dans ma cellule, c'est à cause d'eux ! Je pense qu'ils m'en voudraient terriblement, et une chose est certaine, c'est qu'ils auraient raison. Je n'aurais pas du dire ce que j'ai dit. J'aurais du m'excuser d'avoir traîné aussi tard et retourner dans ma cellule. C'est ça que j'aurais du faire, oui. Mais je n'ai pas eu la force. Comme d'habitude, je suis trop faible. Rien ne change. A croire que rien ne changera jamais.
Désolée...
Je ne connais même pas leurs noms. Cellule 9, c'est tout ce que je sais. Il y a deux hommes et une femme. Mais je ne sais strictement rien sur eux, parce que je n'ai pas cherché à en savoir davantage. Parce que je suis lâche et conne. Je fuis perpétuellement, et pour finir je me retrouve dans des situations comme là, à devoir faire quelque chose, de préférence ici regagner ma cellule, sans réussir à faire rien d'autre que pleurer. Ouais, pleurer, parfaitement. C'est ce que je fais présentement.
Merde, je pleure.
Une larme.
Pas plus.
J'arrive encore à retenir les autres. J'en ai assez de pleurer sur mon sort. J'aimerais pouvoir verser des larmes pour d'autres personnes. Il y a des gens qui souffrent mille fois plus que moi, et qui pourtant se relèvent et avancent. Des gens qui vivent avec leurs souffrances, des souffrances qui méritent davantage d'attention que les miennes. Je ne mérite pas toute la douceur que l'on m'offre. Je ne suis qu'une gamine trop gâtée, un peu pourrie par l'attention qu'on lui porte et la compassion qu'on lui donne. Je ne mérite rien de tout cela. Je ne mérite rien du tout. Ils feraient peut-être tous mieux de me laisser dans ma merde. Si je crève, c'est un bienfait pour l'humanité. Sinon, j'apprends à m'en sortir toute seule, comme une grande. Je pense que la première hypothèse est la plus probable. Je suis une incapable, une merde, une sous-merde.

La gardienne ne répond toujours pas. Le silence dure, je n'aime pas ça. La lampe émet de temps à autre une sorte de cliquetis, je pense qu'elle est sur le point de rendre l'âme. Je n'aime pas ce silence un peu glauque, un peu tendu. A travers mon uniforme de prisonnière, je peux sentir une once de chaleur émanant de la gardienne. Cette dernière est un peu étrange. Elle me prend un peu au dépourvu. N'est-elle pas là pour réprimander les prisonniers qui ne sont pas dans leur cellule, ou tout du moins pour les escorter jusqu'à ces mêmes cellules ? Et cette impression qu'elle me ressemble... Vraiment, je suis troublée par sa présence. Je voudrais la regarder, comme pour en savoir plus sur elle, la sonder l'espace d'un instant. Mais je n'ose pas. Mon regard reste inlassablement fixé sur le coin d'ombre qu'ils ont trouvé.
J'aimerais m'endormir...
Sombrer...
Et fuir.
Mais je reste là éveillée, immobile, à attendre que la gardienne fasse ou dise quelque chose, à attendre qu'elle détruise ce silence qui m'oppresse. Parce que je suis trop faible pour le détruire moi-même. J'ai besoin d'une assistance en permanence. Je suis faible, je suis une gamine, je suis pathétique. Juste pathétique. C'est ce que doit penser la gardienne de moi. Et elle aurait raison.
Je risque d'ailleurs un regard rapide vers cette inconnue qui m'intrigue tant.
Et la nuit fut.
Ca y est, la lampe a rendu l'âme. C'était prévisible.
Je n'aime pas trop être dans le noir quand je ne suis pas seule. Parce qu'on ne sait jamais ce qui peut arriver. Je n'ai pas peur de la gardienne, je crois... Pas vraiment. Mais quand même. Quand il fait noir, on ne peut pas contrôler ce qui se passe autour, on ne peut pas se défendre. Je ne sais pas me battre contre le néant. Mais bizarrement, pour une fois, je n'ai pas vraiment peur. Est-ce sa chaleur que je peux sentir là, tout près de moi, qui me rassure ? Peut-être. Je l'ignore. Mais je ne ressens pas cette terreur qu'il m'est arrivé de ressentir. Elle me ressemble, elle est mon double, elle n'est que le fruit de mon imagination. Je n'ai pas à avoir peur.
J'ai la sensation de me retrouver seule avec mon esprit et ma pensée, même si la gardienne est là. Elle est là sans être là, elle est elle tout en étant moi. L'image m'amuse. Je n'ai pas envie d'imaginer autre chose. Cette gardienne est ce que j'aurais du devenir, ce que je deviendrai. Mais elle est moi. Sans l'être. C'est compliqué. Mais je me comprends.

Soudain, des bruits de pas. Ils résonnent dans le silence, et j'ai l'impression que la noirceur dans laquelle nous sommes plongées amplifient encore leur son peu rassurant. J'ai peur. Je n'ai rien à faire ici, je devrais être dans ma cellule. Je ne sais pas qui vient, mais ce nom... Sadismus... Je n'ai pas encore eu l'occasion d'appréhender réellement le sens de ce mot. Et j'espère ne pas en avoir l'occasion avant longtemps, à vrai dire.
Mais je suis avec une gardienne. Elle me protègera, non ?
Non.
Elle semble complètement prise de panique. Je ne sais pas ce qui lui passe par la tête, je ne sais pas où est son problème. Elle est gardienne, non ? Elle a des droits, elle... Est-ce qu'elle est une gardienne... différente ? Peut-être est-elle maltraitée par ses collègues ? Ou peut-être est-elle simplement... comme moi. Mon double, je l'ai déjà dit. Mon double aurait peur. Avec un peu plus de cran que moi, ça donne ça : on se lève et on part.
Irréel.
Je me laisse faire, je suis la gardienne. Tout tourne. Je ne sais pas si j'arriverai à la suivre jusqu'au bout. Je tangue, penche d'un côté, de l'autre. Mais je suis tant bien que mal. Je n'ai pas trop le choix, elle me tient par le bras. Mais quoi qu'il en soit, j'aurais fait mon possible pour la suivre, si elle ne m'avait pas tenue. Elle m'intimide un peu, à me ressembler comme elle le fait, mais cette fuite est une occasion que je ne veux pas rater. Une raison de plus pour ne pas retourner dans ma cellule... A moins qu'elle ne m'y emmène, mais j'en doute. Elle ne m'a même pas demandé la quelle c'est. D'autres gardiens m'y auraient peut-être renvoyée avec peu de douceur. Mais elle m'a sauvée. Je ne sais pas si c'est une bonne chose. Me secouer un peu ne serait pas mal. Un peu de rudesse et d'autorité ne pourraient que me faire du bien. Ne serait-ce que pour me faire comprendre que je ne mérite pas tous ces égards.
Mais ce n'est pas pour aujourd'hui.
Aujourd'hui, je fuis, profitant de la peur de celle qui vint troubler ma relative paix.

Tout est noir. Nous empruntons un escalier, remontons vers la surface. Ne croiser personne... Combien de temps pourrais-je marcher ainsi, à l'aveuglette et avec l'impression sans cesse renouvelée de tomber dans ce couloir qui tourne ? La gardienne s'excuse. J'ignore pourquoi. Parce qu'elle m'a sauvée ? Ou bien parce qu'elle s'est elle-même sauvée en m'emmenant avec elle dans sa fuite ? Quoi qu'il en soit, même si c'est elle qu'elle a tenté de sauver, elle m'a peut-être évité des réprimandes. Alors elle n'a pas à s'excuser. C'est moi qui devrais la remercier. Mais je n'en fais rien. Je ne sais pas dire merci.
Je m'appuie sur un mur pour éviter de tomber et je continue de monter, d'une démarche gauche et lente. Désolée de vous ralentir...
Arrivée en haut, la gardienne repart. Je la suis avec difficulté, mais je la suis. Je ne sais pas où nous nous trouvons. J'ai perdu toute notion de distance, d'orientation. Je ne sais pas si je suis déjà venue dans cette partie de la prison. Peut-être, peut-être pas. Une seule chose est certaine, nous ne sommes pas dans le couloir qui passe devant ma cellule. Je l'aurais reconnu.
La gardienne passe finalement une porte. J'hésite, jette un oeil à l'intérieur. Il n'y a personne d'autre. Je rentre. Elle pose son chapeau, s'assied sur un lit. Sa chambre, son lit ? Je ne comprends pas. Pourquoi m'a-t-elle entraînée ici ?
Aucune idée.
Mon double hallucinatoire s'excuse une nouvelle fois.
La ressemblance est décidément bien frappante. La seule différence, c'est que je garde mes pensées pour moi. Je ne sais pas m'excuser. Je la regarde, un peu étonnée. J'ai envie de lui dire qu'elle n'a pas besoin de s'excuser, qu'elle m'a sauvé la vie. Mais rien ne sort. Rien du tout. Pas même ce remerciement qui ne demande qu'à s'échapper d'entre mes lèvres. Un remerciement et une question. Pourquoi ? Je ne comprends toujours pas. Je dois avoir un air hagard, un peu ahuri. D'autant plus que je me sens toujours mal. Dans l'embrasure de la porte, je n'ai pas osé m'avancer davantage dans l'antre de cette inconnue. Je m'appuie contre le montant de la porte. Pour ne pas tomber. Parce que je suis sur le point de m'effondrer. La chambre tourne, la gardienne tourne. Tout tourne.
Reprends-toi !

Je m'efforce de rester debout encore un moment.
J'ai faim.
La gardienne s'explique. C'est donc bien cela, sa chambre. Pas très différente d'une chambre de prisonnier. Un peu plus spacieuse, un peu plus confortable, peut-être. Et ils ne sont que deux par chambre. A part ça, les gardiens ne sont pas vraiment mieux lottis que les prisonniers. Comme si eux non plus n'étaient plus vraiment libres en entrant ici. Il n'y a que les oiseaux de Siriel qui soient libres.
La gardienne m'invite à rester. Je la regarde, interloquée. Je ne bouge pas. Je ne veux pas partir. Mais je ne me sens pas à mon aise. Je ne sais pas si je veux rester. Je voudrais retourner dans cette ombre protectrice... Mais on me cherchera, et on me trouvera. Je ne veux pas qu'on me trouve.
Elle s'excuse une nouvelle fois. Je me sens encore plus mal. Vous n'avez pas à vous excuser, vous n'avez rien fait de mal... En revanche, moi, je devrais m'excuser. Parce que je n'aurais pas du me trouver là où je me trouvais. Pas après le couvre-feu, en tout cas. Et parce que je ne suis qu'une merde, aussi... Mais si je m'excuse pour cela, elle me reprochera d'être trop dure avec moi-même. C'est toujours comme ça. Mais je suis juste lucide. Peut-être y aura-t-il un jour quelqu'un pour le comprendre et m'aider à m'élever... S'il vous plait... Cessez de vous excuser. Voilà ce que j'ai envie de dire.
Mais je ne dis rien. Je n'ai pas encore répondu. Je ne sais pas quoi répondre. Et le temps que je réfléchisse, la jeune femme ajoute quelque chose. Je peux dormir dans son lit, si je veux. Je la regarde, toujours aussi étonnée. Autant de gentillesse venant d'une parfaite inconnue, cela a de quoi me surprendre. Plus surprenant encore, comme si sa proposition était quelque chose de tout à fait naturel, la gardienne s'assoit par terre, enlève ses chaussures, puis sert deux verres d'eau. Elle m'en tend un avant de s'assoir par terre. Je regarde mon verre sans esquisser le moindre geste.

« Je... »

Voix rauque, comme toujours.
J'ai envie de refuser, j'ai envie d'accepter.
Je bois mon verre d'un trait. Ca fait du bien, c'est frais. Ca a retardé un peu le moment de ma réponse. Mais maintenant, il faut répondre. Le moment de répondre arrive toujours, un jour ou l'autre. Mais je serais capable de fuir indéfiniment, quitte à me noyer à force de boire.

« Je... »

Oui, ça tu l'as déjà dit.
Tout tourne.
Envie de dormir... Mais besoin d'aide. Il faut qu'elle me force à aller parler à ceux qui dorment dans ma cellule, il le faut vraiment ! Allez, parle ! Parle, bordel !!
Une larme.
Une de plus.
Bon sang, arrête de pleurer !
Je l'essuie, j'espère qu'elle ne la verra pas. J'ai froid, j'ai faim, j'ai chaud. Dormir...

« Je... »

Je me cogne la tête contre le mur. J'ai mal. Arrête de tourner, chambre ! Je suis trop conne, je suis vraiment trop conne ! Je me hais, je me hais, je me hais ! Une autre larme. Je n'ose pas regarder la gardienne, j'ai bien trop honte. Je m'effondre au sol, assise, le dos contre le montant de la porte. J'ai le regard un peu perdu, un peu paumé. Je pense qu'à ce stade, on pourrait penser que je suis sous l'emprise d'une quelconque drogue, ou bien que je suis en manque. Je transpire, je tremble un peu. De froid.

« Pardon... »

Un murmure. Elle n'a pas du entendre, je pense. Mais je n'en sais rien. Je voudrais mourir.
Juste m'étendre et puis dormir...
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MessageSujet: Re: Vertige [Adeline]   Vertige [Adeline] Icon_minitimeVen 12 Sep - 18:40

[Mouif... pas grandement satisfaisant, désolé.]

Je ne bouge plus. J’attends. Je ne sais pas ce que j’attends, mais je l’attends de pied ferme. J’entends un bruit sourd près de la porte. Adélie vient de se frapper la tête, elle veut probablement se remettre les idées en place. Qu’est-ce que je dois faire ? Je suis vraiment dans de sales draps. Je ne veux pas me retrouver derrière ces barreaux froids et tristes. Bien qu’elle ne soit pas grandiose, j’aime bien la gardienne que je suis. Et je veux le rester, au moins pour quelques temps. Pourquoi tout a tourné ainsi ? Je ne me souviens plus…

Je ferme les yeux quelques instants. Quelques infimes instants… Pourtant ils suffisent à me faire rêver… A me rappeler ce jour, pour être précise. Le jour où tout a basculé…
Je revois mon père, au sol dans une mare de sang. Je vois mes mains, portant ce pistolet avec lequel je viens de tirer. Je vois ma mère affolée se ruant sur mon père. Je revois mon oncle et mes mains pointer l’arme vers lui. Je me rappelle de ce sourire sur mon visage, le sourire que l’on a lorsqu’on fait une bonne action. Car j’avais fait une bonne action…

La voix d’Adélie me sort de mes souvenirs. Elle s’excuse. Cela me fait sourire, un peu inconsciemment. Peut-être que tout est de sa faute, que je vais me retrouver derrière les barreaux parce qu’elle-même n’y était pas à l’heure. Mais en fait, j’aurais dû y être dès le départ, elle n’a rien fait qui puisse me porter préjudice. J’aurais pu rester là-bas et m’expliquer avec le garde qui rappliquait. Je ne sais pas pourquoi j’ai perdu mon sang-froid.
Je pense qu’elle veut s’excuser pour tout ce qu’elle aurait pu faire durant sa vie. Cette demande de pardon sonne comme un pardon général, rassemblé en un seul. Je souris à la jeune prisonnière et bouge enfin.

Je me lève et me rapproche d’elle. Elle a l’air mal en point. Peut-être un peu moins qu’avant, mais son malaise n’est pas passé. Je pose ma main froide sur son front. Il est chaud, trop pour que ce soit naturel. C’est certain : Adélie est malade. La pauvre, avoir une maladie dans une prison, ce n’est pas le meilleur moyen de s’intégrer.
Je prends sa main et la lève tranquillement. Je la soutiens et la pose délicatement sur le lit. Je la recouvre de la couverture jusqu’à mi-ventre et m’assied sur une chaise, à son chevet. Je lui souris en lui caressant les cheveux.


« Reposez-vous un moment, vous en avez grand besoin. »

Ces mots sonnent comme une demande amicale mais elle n’a pas vraiment le choix. Je ne lui laisse pas le choix. Mais je suis décidée à la soigner et je ne vais pas la laisser partir comme ça. Bien sûr, je pourrais l’amener chez le médecin, mais je ne vais pas le déranger à une heure pareille. J’irai le voir uniquement si je ne sais plus quoi faire.
Pour le moment, je prends un mouchoir ou quelque chose qui s’y apparente –je n’y fais pas vraiment attention– et le trempe d’eau. Je l’essore un peu et le pose sur le front d’Adélie pour qu’il refroidisse un peu. J’espère que cela va suffire.
Je souris en la regardant. Je ne peux m’empêcher de penser que j’aurais pu être comme elle. J’aurais pu me morfondre dans un coin sombre attendant quelque chose sans vouloir retourner d’où je viens… Mais je ne le fais pas. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Peut-être que le meurtre a changé ma vie. Peut-être ne suis-je plus celle que j’aurais dû être.
C’est amusant de constater que l’interruption d’une vie peut en modifier une autre. Très amusant…


« Vos compagnons de cellule… » Je commence à parler d’une voix douce. Je ne veux pas la brusquer, ni lui faire du mal… Je veux juste me renseigner. « Ont-ils quelque chose de particulier ou est-ce que… est-ce que vous n’arrivez pas à intégrer leur groupe ? »

Ma question est étrange, j’en conviens. Mais je ne trouve pas d’autre manière de la poser. Si elle n’arrive pas à y répondre, tant pis. Je trouverai bien par moi-même. Mais il est tellement plus facile de demander. Du moins dans ce cas-là…
Je caresse ses cheveux. Je ne peux m’empêcher de faire ce geste. Ils ressemblent beaucoup aux miens mais ils sont un peu plus foncés. Je souris franchement en continuant ce petit mouvement de bras qui commence à devenir apaisant. Enfin… pour moi. Peut-être que cela la gêne encore plus. Je ne sais pas quoi faire.

Aidez-moi…


Je tente d’abattre peu à peu une muraille qui semblait jusqu’alors indestructible. Certains le feraient à coup de pic et de marteau, je le fais en douceur. J’essaie, du moins. En douceur et en sourires. Quel meilleur moyen pour faire fondre un mur de glace que de la chaleur humaine ?
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Adélie Roche
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MessageSujet: Re: Vertige [Adeline]   Vertige [Adeline] Icon_minitimeSam 13 Sep - 13:16

J'ai mal.
A l'intérieur, au fond du coeur. Une douleur lancinante, qui dure, qui dure, une plaie invisible qui ne cicatrise pas.
Je transpire, aussi. J'ai chaud, j'ai froid. De l'air ! Je ne peux plus respirer, je suffoque. Ca fait mal.
Et je suis incapable de seulement penser à me calmer. Le peu de concentration que j'ai me sert à... je sais pas, à rien, en fait. A pas m'effondrer, à pas mourir, peut-être. C'est l'impression que j'ai. Mon regard est fixé sur le sol, à quelques centimètres de moi. Il ne bouge pas, même quand j'oscille. Je m'y force. J'ignore pourquoi. Peut-être que ça me permet de savoir qu'une chose au moins est immuable... Ca me rassure... Ou pas. Je n'en sais rien, qu'est-ce que ça change ? Tout ce que je sais, c'est que mon regard ne bouge pas. Il est comme accroché, ancré au sol. Hameçonné. Enfin on s'en fout, en fait... Mais ça fait une chose d'assurée. Une chose qui ne tremble pas, qui ne frémit pas. Ne pas ciller, ne pas avoir le regard trop mouvant. Je ne sais pas pourquoi, mais c'est comme ça.
Je tremble toujours.
Sans la regarder, je vois dans mon angle de vision que la gardienne s'approche de moi. Je frémis sans bouger vraiment. Puis je sens la froideur de sa main sur mon front. Je frémis encore, mais je reste immobile. C'est agréable. C'est doux. Je laisse la gardienne me prendre la main puis me lever. Docile. Je me laisse traîner jusqu'au lit. Je ne sais pas si je veux dormir. Je veux et je ne le veux pas en même temps. Je sais pas ce que je veux, j'ai mal, j'ai peur. J'ai honte, aussi. Honte de tout. Honte de me montrer ainsi en spectacle, honte de me laisser faire, honte de ne pas parler, honte d'être faible, honte d'être juste pitoyable. Envie de disparaître, de n'être qu'une petite souris capable de me cacher dans le moindre trou du mur. Si Siriel disait vrai, la fleur que je suis est de verre, destinée à se briser au moindre choc. Les morceaux se recollent, un peu, puis ils se brisent à nouveau pour un rien. Les morceaux se brisent toujours. Ils sont fragilisés par je ne sais quel défaut de fabrication, ou bien peut-être un choc qui a eu lieu plus tard... Aucune idée, et pour le moment présent ça ne change franchement rien.
J'ai mal, j'ai peur, tout tourne.
Dormir...

Comme si elle avait pu lire dans mes pensées, elle me met sur le lit, m'allonge, me recouvre d'une couverture. Je n'ose pas encore la regarder. Je dois être rouge. J'ai trop chaud, mais j'ai des sueurs froides. Je ne bouge pas. Merci...
Au fond, je ne suis pas malade, et je le sais. C'est juste que... que je suis tout simplement pas capable d'affronter la vie. Se blottir au fond d'un lit, sentir la tendresse de quelqu'un à côté, c'est plus agréable. Et tellement plus simple ! Je sais que j'agis comme une gamine. J'en suis consciente. Mais je ne sais pas faire autre chose. J'ai déjà essayé... Je suis trop faible.
Bon sang, Adélie, bouge-toi !
J'ai honte de me laisser faire, honte de me trouver tranquillement dans ce lit tandis que la gardienne s'inquiète pour moi. Mais je ne fais rien.
Parce que je me sens en sécurité.
Une chaise bouge, je la vois s'y asseoir. Juste à côté de moi. Je n'ose toujours pas la regarder, je suis immobile, j'ai toujours autant de mal à respirer. Elle me caresse les cheveux. Je frissonne. Je n'ai pas l'habitude.
Depuis que je suis arrivée dans cette prison, tout le monde agit avec moi comme si je devais être protégée. Je dois l'être. Mais contre moi uniquement. Je sais que le monde ne me veut pas de mal. Mais j'ai du mal à le comprendre réellement. Il n'y a que mon esprit qui agit pour me faire du mal. Je suis mon seul bourreau, je n'arrête pas de le dire. Et je ressasse ce qui me fait mal, je retourne le couteau dans la plaie. Comme si c'était tout ce qui me fait le plus plaisir au monde. C'est ridicule. Pitoyable. C'est drôle, je pensais que les gens qui me croisent ne pouvaient qu'être écoeurés par ce que je suis. Pourtant, dans ce que l'on m'a dépeint comme l'une des pires prisons du monde, tous ceux que j'ai rencontrés jusque là sont gentils avec moi. Quelque part, ce n'est pas normal. Je ne mérite pas tout ça. Je mérite... rien, en fait. Juste que l'on me force à agir par moi-même, à me débrouiller seule. Que l'on me force à me soigner, sans doute. Mais toute seule. Parce que je suis grande. En théorie. En pratique, ce serait bien que je le devienne. J'ai vingt ans, merde !

Après m'avoir proposé (ordonné ?) de me reposer, la gardienne me pose un tissu mouillé sur le front. Ca fait du bien. Mais ce qu'elle ignore, c'est que ça ne fera rien. Je ne suis pas malade. Je ne semblerai à nouveau en forme que lorsque je n'en pourrai plus d'être protégée, que lorsque j'aurais repris un peu courage. Au mieux, dans quelques jours. C'est toujours comme ça. Une fatigue, des malaises sans fin durant quelques jours. On me croit malade, on me laisse au lit, on fait venir le médecin, qui ne sait pas ce que j'ai. Puis on attend. Ca finit toujours par passer, parce que j'ai toujours eu peur que mes parents comprennent que je n'étais pas vraiment malade.
J'ai mal au crâne...
Mes yeux commencent doucement à se fermer. Je réfléchis trop, c'est épuisant. J'ai sommeil. Dormir me fera oublier tout cela. A mon réveil, ça ira peut-être mieux. Mais non, je le sais. J'essaie encore une fois de me mentir. A mon réveil, je verrai cette femme, cette chambre, et tout me reviendra en mémoire. La honte, la peur, le malaise. Ma honte grandira, enflera. Ce sera pareil. C'est un cercle vicieux. Commence à être faible et tu ne pourras plus changer. Le sommeil appelle le sommeil, la fuite appelle la fuite. Jusqu'au moment où il n'y a plus d'échappatoire... Je veux sortir d'ici, je veux rentrer chez moi. M'enfermer dans ma chambre, comme avant, et ne plus voir personne. Le psy a échoué, ou bien il m'a menti. Rien n'a changé, rien du tout. Je n'ai pas évolué, je ne fais pas davantages d'efforts que d'habitude. C'est aussi douloureux, aussi dur. Le psy était un incapable. Et moi donc...
Il faut que je fasse quelque chose, je ne peux pas rester là sans rien dire, sans rien faire, à attendre que ça se passe ! Je ne suis pas franchement certaine d'avoir le droit de me trouver là où je me trouve. Je vais lui attirer des ennuis... Allez, fais quelque chose ! Plus le temps passera, et plus ce sera difficile. Un cercle vicieux, je vous l'ai dit. Plus ça avance, et plus la vitesse augmente. Au début, il est temps de faire demi-tour. Après, c'est trop tard. Il faut être rapide. Je ne le suis pas.
Mes yeux se ferment inexorablement...

La gardienne (dont je connais toujours pas le nom, au passage) me parle. Merci. Merci de m'empêcher de faire ce que j'ai trop souvent fait. Faites-moi parler, tenez-moi éveillée, éveillez-moi s'il le faut. Je ne mérite pas de dormir, je ne dois pas dormir.
J'ose enfin la regarder, mes yeux sont grands ouverts. Elle me parle d'intégration. Est-ce qu'elle lit dans mes pensées ?
Ah.
Oui.
C'est mon double. Je l'avais presque oublié.
Mais je ne sais pas quoi répondre. Non, je n'arrive pas à m'intégrer. Mais je ne sais même pas s'ils forment ce qu'on peut appeler un groupe. C'est juste... Chacun d'entre eux constitue une sorte de forteresse que j'évite. Trois petites forteresses qui en forment une plus grande. Imprenables, intimidantes. Impossible de s'en approcher, impossible d'essayer d'y pénétrer. Je n'ai pas la clé. C'est pour ça. Et je n'ai pas assez de voix pour crier aux gardes de m'ouvrir. Peut-être ont-ils oublier de laisser une clé sous le paillasson... En tout cas, je ne peux pas entrer. Les forteresses, ça fait peur. On (enfin c'est surtout 'je', dans le cas présent) les imagine toujours avec une armée prête à vous déverser de l'huile bouillante. Des canons, des soldats décidés à vous passer au fil de l'épée. C'est un peu comme ça que je perçois l'Autre. Il me fait peur, il m'effraie. Même si je sais qu'il n'a ni épée, ni canon, ni huile bouillante.
Bref. Je ne peux pas parler aux autres. Et eux ne me parlent pas non plus. J'ignore pourquoi. Peut-être que je ne les intéresse pas. Ils n'ont pas besoin de moi, je ne suis rien. Et puis... la solitude, ça fait peur. Je l'ai toujours remarqué. Pas vous ? C'est peut-être parce que vous n'êtes pas seule... On ne se rend pas forcément compte que l'on rejette quelqu'un. C'est comme ça, et puis c'est tout. Il ne vient pas vers, nous, pourquoi aller vers lui ? Il est seul, c'est qu'il le veut. Sinon, il approcherait. Les solitaires, on les laisse entre eux. C'est à dire, seuls. Ils n'ont pas besoin d'autre chose. N'est-ce pas ?

Il faut répondre quelque chose, la gardienne attend. J'aimerais pouvoir lui parler ouvertement, mais je ne le peux pas. Pas alors qu'elle est en face de moi. Je ne pourrai plus jamais la regarder en face, si je fais ça.
Peur qu'elle me juge...
Laissez-moi dormir... S'il vous plait.
Mais empêchez-moi de sombrer !

« Je... »

Ca va pas recommencer !
Je... Je quoi ? Je sais pas. C'est le trou noir. Je ne sais pas quoi lui dire. Ils ont rien fait, c'est certain ! A vrai dire, je sais même pas quelle tête ils ont précisément, parce que j'ai jamais osé les regarder plus d'une fraction de seconde de peur qu'ils me calculent.
Allez, on se lance.

« C'est moi, je... »

Merde ! Tu peux pas être un peu plus loquace ? Elle va finir par s'impatienter.
Mais je sais pas quoi dire...
Vous auriez pas une corde ? J'aimerais me pendre...
C'est peut-être ça, que je devrais lui demander, au fond. Ca rendrait un grand service à l'humanité.
Un peu de sérieux, elle attend toujours !
...

« J'suis un peu timide... »

La honte.
Je baisse le regard, assez brusquement. Je rougis, j'ai chaud, je transpire. Mais quelle conne !
Bon, c'est un début de réponse, certes... Mais quand même, c'était bien pitoyable, ça, comme déclaration. On peut difficilement faire pire. Même si moi, j'en serais largement capable. Eh oui, j'ai une grande confiance dans la pitié que j'inspire. Dans ma connerie. Dans tout ça, quoi. Pas dans ce qu'il faudrait, c'est dommage.
Là, je voudrais juste mourir, en fait. Dormir, en tout cas. Mais mourir, de préférence. Même si ce sont des pensées en l'air et que je ne veux pas vraiment mourir.
Ma respiration se fait à nouveau plus sourde, plus difficile. Je suffoque.

Mourir.
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Adeline Rose
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MessageSujet: Re: Vertige [Adeline]   Vertige [Adeline] Icon_minitimeVen 19 Sep - 17:39

Je ne sais pas qui a posé la première brique de cette muraille, ni qui l’a cimentée, mais ils ont bien exécuté leur tâche. Ce mur est solide, peut-être un peu trop. Quelle douleur ce doit être d’avoir un tel mur autour de son cœur, ne jamais pouvoir avouer ce que l’on ressent, nos sentiments toujours bloqués par ces pierres invisibles. Personne jusqu’ici n’a creusé une brèche, personne n’a réussi à passer au travers de ce mur que l’on croyait invincible. Mais je compte bien le faire. Je briserai ce mur et je verrai ce qui se trouve de l’autre côté.
Mais le plus difficile à faire, c’est d’entamer le mur. Les fissures ne sont pas encore faites, pourtant, une fois commencées, il est bien plus facile de créer un trou à travers ce mur de silence.

Je la regarde et j’ai l’impression que son état empire. Mais je n’ai pas envie d’aller voir le médecin, j’espère que ça va aller. Sinon, j’irai tout de même; je ne peux pas la laisser ainsi. Je ne sais pas si elle va moins bien à cause des questions que je lui pose ou à cause de ce qu’elle avait déjà. Que faire ? Je ne peux rien faire, je ne sais pas quoi faire, elle va empirer et finir par décéder… Stop ! Je délire. Que m’arrive-t-il ? Je n’avais jamais fait cela avant. Quels changements se produisent ? Cela m’énerve… fortement. Je suis la proie de paniques irréelles et idiotes.
Elle me parle. Parfait, ça me changera les idées. Enfin, parler, c’est beaucoup dire… elle a balbutié quelques bribes de phrases à moitié compréhensibles. Mais cela semblait être déjà énorme pour elle. Peut-être une fissure s’est-elle formée, finalement.

Je retiens un petit rire quand elle a dit qu’elle était timide. J’avais un peu remarqué, mais ce n’est pas grave. Elle a l’air gênée de ce qu’elle vient de dire. Ses joues rougirent soudain et sa peau devint de plus en plus chaude. Qu’y a-t-il de honteux à dire que l’on est timide ?
Peut-être l’est-ce quand on a jamais dit la vérité à quelqu’un, quand on a toujours été obligée de cacher tout ce que l’on ressent à tout le monde… Ce n’est pas vraiment du mensonge, mais c’est de la dissimulation.


« Je comprends. » Je ne sais pas quoi dire, ce genre de situation m’embarrasse un peu. J’essaie de m’occuper d’elle pour me changer les idées. Je n’ose pas lui dire, mais je suis timide moi aussi. Cela ne se voit peut-être pas… Je le cache, comme toujours. Cacher, tout cacher pour que ça explose une fois que c’est rempli. Comme avec mon père.
Je baisse les yeux et mes joues deviennent rouges. J’ai honte de cela. Je ne regrette rien, mais j’aurais peut-être pu faire comprendre aux autres ce que je ressentais. J’aurais pu… Mais rien ne sert de remuer le passé.
« Du moins, je crois »

Je regarde ailleurs et frotte mes yeux pour faire passer les quelques larmes passagères pour de la fatigue. Pourquoi des larmes ? Je pleure ? Mais… je n’ai pas de raison de pleurer. Je ne dois pas pleurer. Pourquoi ?
Je crois que je pleure parce qu’Adélie me bouleverse. Elle… me ressemble tellement. Est-ce possible ? Est-ce vraiment possible de rencontrer son double dans une prison ? Aussi vaste que soit le monde, c’est en Allemagne que je la trouve. Qui est-elle vraiment ? Non… la vraie question serait : Qui suis-je vraiment ?
Je n’ai pas la réponse… peut-être la trouverai-je en répondant d’abord à la première question. Peu importe. Je la regarde dans les yeux et je me lève soudain. Je reprends mon chapeau et je me déplace vers la porte.


« Je reviens tout de suite, restez bien là sans bouger. »

Je sors et fais quelques pas. J’attends quelques secondes pour écouter si elle suit mon conseil. Aucun bruit… Peut-être est-ce une bonne nouvelle, peut-être non. Quoiqu’il en soit, je continue à marcher. J’aperçois alors la brique. Cette brique froide du mur. Et ce papier blanc sur cette brique grise.
Je l’attrape et je me dépêche de revenir. J’appuie sur la poignée froide. Pourquoi est-elle si froide ? Elle ne l’était pas avant. Ou je ne l’avais pas remarqué. Je patiente quelques secondes et, n’entendant personne, je pénètre à nouveau dans ma chambre. En fermant la porte, et en prenant bien soin de ne pas faire trop de bruit, je regarde si quelqu’un m’a vue.


« Désolée de l’absence… » C’est tout ce que je peux dire… tout ce que je sais dire. Pitoyable, mais véridique. Je ne regarde pas Adélie; je me retourne, les yeux rivés sur le papier blanc avec toutes les informations nécessaires sur cette jeune femme. Je me rends soudain compte qu’elle ne sait rien de moi.

« Au fait, je m’appelle Adeline, j’ai vingt ans et je travaille ici depuis quelques jours. »

J’ai dit ça comme l’on résumerait un court métrage. Il n’y a pas de raison précise à cette phrase que l’on pourrait qualifier de spasme de présentation. C’est en voyant toutes ces informations que j’ai décidé de me présenter. Je remarque alors la proximité de nos noms et de nos âges. Quelle coïncidence. C’est très étrange…
Je lis les noms des compagnons de cellules d’Adélie : Brigitte, Kirof et Kurt. Je ne les connais pas. Qui sont-ils eux aussi ? A vrai dire, je ne sais presque rien de cette prison. Je me perds en réflexions inutiles et je regarde enfin Adélie. Elle n’a pas l’air d’aller bien. Je lâche le dossier et me précipite vers elle.


« Vous allez bien ? »

J’essaie de comprendre ce qui lui arrive, mais je ne suis pas un médecin. Je ne sais pas quoi faire. Dois-je déranger le toubib de la prison ? Où est-il au fait ? Et comment le prévenir ? Il doit dormir maintenant… Que puis-je faire ?
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Adélie Roche
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MessageSujet: Re: Vertige [Adeline]   Vertige [Adeline] Icon_minitimeMar 23 Sep - 8:13

La gardienne ne semble pas me tenir rigueur de mon peu de paroles, de ce silence mal à l'aise. Pourquoi les gens sont-ils si patients avec moi ? J'ai du mal à comprendre... Cela fait déjà un certain temps que je suis ici, et rien n'a changé. Je suis toujours la même, aussi minable. Je ne suis pas censée attirer leur sympathie. Je regarde la jeune femme par petits coups d'œil furtifs et qui se veulent discrets. Elle est tendre, attentionnée. Elle me fait un peu penser à Damara... Ou à Bella. Je ne parviens pas à m'expliquer leur comportement à mon égard. Elles sont trop douces, je ne le mérite pas. Et moi qui profite de leur douceur... J'ai honte, je suis écœurante. Pathétique, pitoyable. Pourquoi me laisse-t-on sombrer ainsi dans la facilité ? Les gens sont trop bons avec moi, sérieusement. Je me comprends pas. Pourquoi j'ai peur d'eux, dans ce cas ? Pourquoi ces phobies juste ridicules ? Pourquoi ici, dans cet univers fermé et théoriquement violent, effrayant et... non pas effrayant, terrifiant en fait – imaginez-vous un peu dans cet endroit froid, noir, glauque, où sont censés être enfermés les pires criminels que la Terre porte –, les gens agissent-ils envers moi comme si nous nous trouvions dans... une crèche ? A l'école, au collège, au lycée puis à la fac, j'étais un peu comme le vilain petit canard... J'étais relativement invisible, même si on ne me rejetait pas consciemment et complètement volontairement. C'est juste que... j'aurais pas été là, c'était pareil, en général. On ne se souvenait pas de mon nom, on ne remarquait pas mon absence. On ne faisait pas trop attention à moi. Alors pourquoi ? Je mérite pas tout ça, merde !
Pourquoi ne voyez-vous pas que je ne suis qu'un déchet ? C'est pourtant simple, clair !
Mais c'est si agréable que je ne fais rien pour les remettre dans le droit chemin. C'est bon d'être materné, même si parfois ça fait mal. C'est doux, c'est... agréable. J'aime ça. Me sentir protégée par quelqu'un d'apparence solide. Quelqu'un comme cette gardienne, ou bien Damara, Bella, ou même Siriel. Car malgré son silence, il était là, à l'écoute. Un peu moins protecteur que les autres, peut-être. Il ne rentrait pas dans mon jeu social visant à me faire plaindre. Un peu moins. Il me protégeait à sa manière, tout en me forçant à faire des efforts. Mais malgré leur générosité et leur douceur, je ne peux m'empêcher de penser que maman me manque et que je l'ai trahie. J'avais fait une promesse. C'est pour ça que je suis venue en Allemagne. J'avais promis de changer, de guérir. Mais je n'ai fait que m'enfoncer davantage encore.
Je voudrais mourir pour ma connerie passée, présente et à venir.
Quelle idiote.

La gardienne me répond qu'elle comprend. Ma timidité ? J'en doute. Il faut être aussi déphasé socialement pour comprendre. Pas possible autrement. C'est pas de la simple timidité, vous comprenez... Ce serait trop facile. Et puis la simple timidité, c'est tellement simple à vaincre. Il ne faut qu'un peu de bonne volonté, et on passe outre. Mais je ne suis pas juste timide. Les gens, ils ne comprennent pas. Pour eux, les gens comme moi sont juste des paumés, ou bien... des grands solitaires, des gens qui n'aiment tout simplement pas la compagnie d'autrui. Des misanthropes, en fait. On est seuls parce qu'on le veut, point. C'est inconcevable pour eux que l'on puisse avoir besoin des autres au point d'avoir peur d'eux. Enfin c'est pas tout à fait ça, j'explique très mal... Mais c'est quelque chose dans le style. Les autres, j'en ai besoin, c'est certain. A un point qui n'est même pas imaginable. Mais j'ai besoin de leur tendresse, de leur amour, de leur reconnaissance. Leur présence m'est insupportable parce que j'ai peur de les décevoir, d'être ignorée, méprisée. En fait, c'est tout simple, quand on réfléchit. Mais les gens ne réfléchissent pas à la solitude. Ça fait peur, la solitude. Alors on regarde ailleurs, on ignore ces gens étranges, on reste entre nous et basta. Ainsi font ceux qui n'ont pas peur.
Elle me ressemble, elle est mon double. Admettons. Mais quand même, je ne pense pas qu'elle me comprenne vraiment.
Parce que je crois que c'est rare, les gens comme moi. Je me considère pas comme quelqu'un d'exceptionnel, loin de là. Ou alors comme quelqu'un d'exceptionnellement minable. Et j'en suis pas particulièrement fière. Mais franchement, ce serait une trop grande coïncidence qu'elle aussi soit comme ça. C'est vrai, c'est assez peu fréquent, quand même. Des paumés pareils, on n'en croise pas à tous les coins de rues, si ? Oui, bon, elle est mon double hallucinatoire. Certes. Mais c'était qu'une image, un délire. Elle n'est pas vraiment mon double, même si elle me ressemble. J'ai rien fumé, j'ai rien bu. Donc j'hallucine pas. J'ai jamais entendu dire qu'une quelconque crise de panique puisse provoquer des hallucinations. Ou alors, c'est cet espèce de tournis... La faim ? Une sorte de mirage provoqué par le manque de nourriture ?
Hum.
Ça suffit le délire. C'est juste une gardienne et je le sais. Même si ça m'amuse de l'assimiler à une autre moi.
Alors elle ne me comprend pas.
Et c'est dommage. Parce que les gens qui ne comprennent pas, ils sont souvent blessants, bien malgré eux. Je vois d'ici la scène : 'Mais enfin, ce n'est pas si dur d'aller parler à vos voisins de cellule !' Le tout avec un ton gentil, protecteur. Le ton de quelqu'un qui aimerait pouvoir comprendre, mais qui n'y arrive pas, malgré toute sa bonne volonté et ses efforts. Les gens ne se rendent pas compte à quel point un petit geste anodin comme saluer un presque inconnu peut être difficile. Les gens ne comprennent pas. Mais moi je sais que ce n'est pas à la portée de n'importe qui. Ce n'est pas aussi facile que ça en a l'air. C'est véritablement dur. Pour moi, du moins... Pas pour tout le monde, c'est certain. Pour la majorité des gens, je pense, c'est quelque chose de tout con. Et puis au fond, quand on y réfléchit, oui, c'est tout con. Sérieux, je m'en rends compte. Mais c'est quand le moment de se lancer approche que toute certitude disparaît. La tension commence à monter, et c'est la crise qui se prépare à se déclencher. Tiens, rien qu'en y pensant je sens que je me mets à transpirer, mon cœur à battre.
On se calme et on pense à autre chose.
Dormir pour oublier.
Malgré tout, je souris, pour lui faire plaisir. Un petit sourire un peu faible, mais qui tient du sourire. Un début, non ?

Soudain, alors que je suis toujours plongée dans mes pensées un peu débiles, je sens que la gardienne se lève. Je la regarde, les yeux vaguement embrumés. Elle m'annonce qu'elle revient, puis elle sort. Je me retrouve donc seule. C'est pas pour me déplaire... En temps normal. Parce que là, je suis pas vraiment en terrain connu. Cet 'autre' peut rentrer à tout instant. De qui s'agit-il ? Il peut bien être n'importe qui, dans tous les cas il sera au moins surpris de me trouver là, peut-être même s'énervera-t-il. Je suis une prisonnière, je n'ai sans doute rien à faire, seule, à cet endroit. Je me sens un peu abandonnée, quand même. Elle m'a dit qu'elle allait revenir, mais quand ? 'Tout de suite', ça peut prendre des valeurs bien différentes selon la personne et le contexte. Je n'ai aucune idée de l'endroit où elle est allée. Et s'il y a un problème, je ne sais même pas comment retourner dans ma cellule. Je ne sais pas où je suis. Ne me laissez pas...
Mais je ne bouge pas.
Ce n'est pas parce qu'elle me l'a demandé – et encore... je ne voudrais pas qu'elle m'en veuille de ne pas lui avoir obéi – mais de toute façon, je n'ai pas la volonté requise pour me lever. Et puis à quoi ça servirait ? Là, je suis relativement au chaud, dans un endroit plutôt petit. Une sorte de nid dans lequel je peux voir toutes les personnes susceptibles de m'observer – en l'occurrence aucune, c'est parfait, le monde est beau. Mais quand même, il y a cette pointe d'incertitude : et si elle arrivait après l'autre ? Je stresse un peu pour rien, je le sais. Mais je peux pas m'en empêcher. Même si ça m'apporte strictement rien.
Heureusement, mon attente ne s'éternise pas. 'Tout de suite' pour cette gardienne, ce n'est pas long. Tant mieux. Qui peut dire les films que j'aurais commencé à me faire dans la tête, si elle avait tardé ? Pas moi, et tant mieux.
Malgré tout, je me sens un peu gênée d'être dans son lit, comme une malade, tandis qu'elle reste assise sur une chaise. J'ai l'impression de m'incruster là où je ne devrais pas, et ce n'est pas ce que j'apprécie le plus. A la limite, je préfère que les gens viennent s'incruster chez moi. Oui, ça m'évite de sortir. Mais il n'y a pas que ça. Je n'aime pas avoir l'impression d'être redevable à quelqu'un. Même si c'est idiot. Oui, je sais, je suis parfois un peu bizarre... Mais bon, c'est comme ça et apparemment c'est pas aussi facile que ça de changer. Visiblement. Ou alors je m'y prends comme un manche, c'est une autre possibilité. Une possibilité assez plausible.
A peine arrivée, la jeune femme s'excuse. Surprise. Bah oui, même si j'ai éprouvé une sorte de peur pendant son absence, elle n'a pas spécialement à s'excuser, c'est juste moi qui suis faible. Mais je lui en suis tout à fait reconnaissante quand même, parce que ça a beau être de ma faute si j'ai eu peur, eh bah j'ai quand même eu peur. Ça change rien, que ça soit normal ou pas. Alors c'est toujours agréable. Mais quand même, elle n'avait pas besoin de s'excuser pour ça...
Bref.

La gardienne tient un papier et semble le lire. Et puis soudain, elle se présente. Elle s'appelle Adeline, elle a vingt ans, et elle travaille ici depuis quelques jours. Nouvelle surprise. Ce qu'elle ne sait sans doute pas – on s'est rencontrées par hasard, non ? –, c'est que je m'appelle Adélie et que j'ai vingt ans. Et que j'aurais du travailler ici, aussi. Mais ça, je lui dirai pas. Ce serait trop la honte. Mais quoi qu'il en soit, ces similitudes sont proprement stupéfiantes. Finalement, peut-être est-elle réellement ce double auquel elle me fait penser. Nous avons le même âge, elle s'appelle Adeline et moi Adélie. Une lettre en moins, un accent en plus. C'est tout. C'est amusant, tout de même, comme ressemblance. Je m'amuse toute seule de cette image de double que j'ai eue lorsqu'elle s'est approchée de moi, de cette image qui semble devenir plus réelle à chaque instant. Troublant.
Autre différence, je suis là depuis plus longtemps. Combien de temps exactement ? Je sais pas trop... Un mois, peut-être... quelque chose comme ça. Mais je peux pas être plus précise. J'ai perdu la notion du temps, je crois. Je n'ai pas vu un agenda depuis longtemps. Chez moi, je connaissais la date parce que c'est écrit sur les écrans des ordinateurs. Sur windows du moins. Vous savez, tout en bas, à droite. Et vu que je passais pas mal de temps sur l'ordinateur – parce que ça permet de s'immerger dans un monde virtuel, c'est tellement plus simple que d'affronter la réalité !... Un peu comme une autruche qui se cache la tête dans le sable, vous voyez ?
Allez, un effort, on se présente. C'est la moindre des politesses. Je ne l'ai pas fait jusque là parce que je ne sais pas faire ce genre de choses. Parler, tout ça... Mais là, elle s'est présentée. Alors ce n'est qu'une sorte de 'réponse', n'est-ce pas ? Et c'est plus facile de répondre, normalement... J'arrête pas de le dire. Donc maintenant, il faut arrêter de parler et faire.

D'une voix assez hésitante et légèrement tremblotante, je lâche enfin :

« Moi, c'est Adélie... Et euh... bah j'ai vingt ans... aussi. »

J'ai appuyé très légèrement sur 'aussi', comme pour mettre en évidence les similitudes. Et je ne peux m'empêcher de la regarder, à présent, histoire de voir sa réaction. Sera-t-elle aussi surprise que moi ?
Mon regard doit avoir quelque chose de... déroutant. Un peu vitreux, peut-être. Une sorte de curiosité mêlée à tous les autres sentiments que j'éprouve. Un peu de détresse, de honte, de peur. Et puis aussi une pointe de faim, un soupçon de fatigue... et tout le reste de timidité. Je veux la fixer sans la fixer, parce que ce n'est pas discret de regarder les gens. Du coup, je dois avoir un drôle d'air. Une sorte de 'help' crypté, quelque chose d'assez peu compréhensible à mon avis. Et comme pour confirmer mes pensées, la voilà qui se précipite vers moi, visiblement inquiète. Merde. Je voudrais pas qu'elle se fasse trop de soucis pour moi, quand même ! Parce que physiquement parlant, je vais bien. Un médecin ne verrait rien à redire à mon état de santé. Sauf pour mon poids, bien sûr. Une nouveauté pour moi, je dois être plutôt maigre. Déjà que je suis menue en temps normal... Mais à part ça – et quelques carences, normal –, le médecin ne verrait rien. Il me renverrait chez moi après m'avoir prescrit quelques vitamines, et voilà. Ce serait tout. Logique, puisque je vais bien. Sur le plan physique, je veux dire. Parce que là-haut, c'est une autre histoire. Un peu détraquée, peut-être. Mais pas très en forme, c'est certain. En fait, je suis un peu comme un escargot*, je m'explique tout de suite. J'ai une grosse coquille dans laquelle je me réfugie dès que quelque chose ne tourne pas rond, c'est à dire dans mon cas, assez souvent. Mais la grosse différence – outre le fait que je ne passe pas mes journées à baver –, c'est que ma coquille à moi, eh bien c'est moi qui l'ai construite toute seule. Elle est constituée pas mal de ce qu'on trouve sur le net, je crois. Durant des années, j'ai passé des journées entières à faire des recherches et à me faire croire que c'était parce que ça m'intéressait. C'est pas complètement faux non plus, ça devait bien m'intéresser un peu, sans quoi j'aurais pas pu me mentir aussi bien... Mais à mon avis cette passion n'en était pas réellement une. La preuve, ça me manque pas tant que ça. Un peu, oui, parce que pouvoir s'oublier dans quelque chose de virtuel, c'est franchement rassurant – et puis quand même, j'aimais bien ça, chercher. Mais sans plus, quoi. Ici, je fais pareil, mais dans le sommeil. Et ça me convient tout à fait.
Mais pas de chance, Adeline s'inquiète. Elle m'a demandé si ça va. Répondre. On te pose une question, tu réponds. C'est le B A BA des relations sociales, ce qu'on apprend quand on commence à parler, non ?

« J'suis un peu fatiguée... »

Je m'en veux sérieusement d'avoir dit ça, même si je n'en montre rien. Elle ne comprendrait pas, de toute façon... Cette phrase, je sais pas combien de milliers de fois je l'ai sortie. A mes parents, à des amis. Je suis fatiguée. La fatigue, c'est facile et ça peut expliquer pas mal de choses, à commencer par ma faiblesse, mon regard. Mon peu de paroles, aussi... Tout ce genre de choses. Et puis l'avantage de la fatigue, c'est qu'elle peut avoir des origines très variées. Dans certains pays, ils ont même reconnu une maladie qu'ils ont appelé la fatigue chronique. A un moment, j'ai cru que j'avais ça. Mais en fait c'est plutôt une sorte de pré-dépression, je crois... Ou alors le fait que je réfléchisse trop, peut-être. Ou un peu des deux. Ça fatigue, ça oui. Mais il n'y a pas que ça. Je cache le plus important. La fatigue, c'est qu'un prétexte. Je me demande même si je la provoque pas inconsciemment – ou consciemment – pour me protéger. Ouais en fait j'en suis sûre... Ça me permet de passer plein de temps à dormir, et donc de fuir ce monde...
Pratique, n'est-ce pas ?



*Hum... ^^'
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MessageSujet: Re: Vertige [Adeline]   Vertige [Adeline] Icon_minitimeLun 20 Oct - 18:03

[Pfffff... Enfin bon, je t'avais prévenue par msn. ><]

Des briques noires et froides nous entourent et pourtant son front est chaud. Elle me dit que c’est à cause de la fatigue, mais je suis sûre que c’est un prétexte. Je me calme un peu. Je ne sais pas pourquoi je m’inquiète autant. Je viens de la rencontrer ; pourquoi ai-je tant envie de la protéger ? Certes, elle a une apparence fragile, comme si elle était en porcelaine et que l’on devait prendre soin d’elle, mais il n’y a pas que ça. C’est comme si… si elle était moi. Je me retrouve, battue et blessée moralement, sans personne pour m’en sortir. Je me vois comme j’aurais pu être, comme j’aurais du être. Et cela m’attire, m’enivre, me fait flancher. Je me sens comme une mère, ou plutôt une grande sœur. Je suis comme sa grande sœur, ayant pour devoir de la protéger et de la guider. Et elle est la petite sœur que je n’ai jamais eue.
J’essaie de me rassurer en me disant que c’est peut-être la fatigue, en plongeant dans son prétexte, m’écrasant contre le mur qu’elle a forgé. Je me rassois sur ma chaise en rotin, petit luxe que je ne m’attendais pas à trouver dans cette prison.

J’essaie de remettre les mots qu’elle m’a dits avant que je me précipite vers elle. Elle s’est présentée, c’est ça. Je me sens coupable d’avoir ce petit dossier sur elle, si bien que je le pose par terre, à côté de la chaise. Je souris et la regarde.


« C’est drôle… Nos noms sont… presque pareils. »


Je ne dis rien de plus. Je ne veux pas la mettre mal à l’aise avec mon délire. Si nos noms sont presque pareils, c’est simplement parce que notre mère nous aurait appelées presque de la même façon. C’est stupide ; je sais que je suis dans une illusion complète, que tout ceci n’est pas la réalité… Mais cela me plaît de l’assimiler à ma petite sœur.
Sœurs jumelles ? Oui, sûrement… Après tout, nous avons le même âge. Mais je pense que je suis née plus tôt, donc elle est tout de même ma petite sœur. Et mon devoir est de la protéger.

Qu’est-ce que je raconte ? Je commence à rire un peu… Rire de moi, de mes pensées idiotes. Puis je regarde à nouveau Adélie. Elle me semble si fragile à nouveau. Que fait-elle ici ? J’ai du mal à croire qu’elle a tué quelqu’un… Non… Il s’est forcément passé quelque chose. Quoique j’ai du mal à croire que j’ai tué quelqu’un aussi. Mais je l’ai fait. C’est étrange, je ne m’en pensais pas capable à l’époque… Et j’ai failli le faire trois fois, tout de même.
C’est plutôt triste ce qui se passe, quand j’y pense. Elle, si fragile et si seule, se retrouve derrière ces barreaux alors que moi, peut-être fragile et seule également, me retrouve de l’autre côté alors que j’ai tué quelqu’un. Cela m’énerve un peu de savoir que quelqu’un se trouve à ma place. Mais je n’ai pas le choix.
C’est peut-être pour cela que je protège les prisonniers comme je le fais. Je ne sais pas. Je regarde Adélie à nouveau. Je me demande ce qu’elle a, autre que la fatigue. De toute façon, si cela ne se soigne pas par le sommeil, je l’emmènerai demain chez le médecin. Je ne l’ai encore jamais rencontré, ce sera peut-être une première. Mais j’espère ne pas devoir en arriver là.


« Vous voulez dormir ? »

Je lui ai demandé cela si soudainement qu’elle doit se demander ce que je lui veux. A vrai dire, je suis fatiguée. Je suppose qu’il en est de même pour elle. Je lui sers un verre d’eau et lui tends. Je ne sais pas du tout si elle en veut ou si elle veut plutôt que je la laisse tranquille. Mais si la laisser tranquille signifie la renvoyer dans l’enfer, je préfère la garder. En réalité, je ne me suis pas vraiment demandé si elle voulait que je l’emmène ou pas. Aurait-elle préféré que je la laisse en cellule ? Je n’en sais rien…
Je laisse le verre d’eau à côté du lit et je bloque la porte avec la chaise. L’autre dort ailleurs, tant pis pour lui. Ce qui est sûr, c’est qu’il ne dormira pas ici cette nuit. Je me pose à terre, assise en tailleur et regarde Adélie. Elle me ressemble tellement, je ne sais pas quoi penser.
Je reprends le dossier et regarde les noms à nouveau. Brigitte, Kirof et Kurt.
Les connaît-elle au moins ? Sait-elle comment ils s’appellent et qui ils sont ? J’en doute. Je doute également qu’elle sait qui ils sont. Je pense qu’elle les évite, passant le moins de temps possible avec eux.
Qu’est-ce que je peux faire pour l’aider ? Je ne sais pas… absolument pas. Je ne peux pas l’aider, je crois. Mais je vais tenter, au moins. Je vais faire tout mon possible. Pourquoi ? Je n’en sais rien ; c’est plus fort que moi.


« Bonne nuit. Dormez bien. »

Je lui souris en attendant qu’elle s’endorme, mais je crois que je me suis endormie plus vite que ce à quoi je m’attendais.
Quel rêve étrange que je fais. C’était une sorte de vie de famille, il y avait les deux parents, les enfants et les tantes et oncles. La seule différence entre cette famille et une famille normale, c’est que celle-ci n’était composée que de gens de Sadismus. Il y avait celui qui partageait ma chambre, il y avait Bella, il y avait Adélie, il y avait moi et plusieurs autres personnes que j’avais croisées par hasard dans les couloirs. Quel rêve étrange…
Je me réveille en sursaut.

La nuit n’est pas encore terminée et Adélie dort. Du moins je le crois. Je me lève et me sers discrètement un verre d’eau, avant de me mettre à genoux à côté du lit. Me voit-elle ? Je n’en sais rien. Cette image de petite sœur est encore gravée dans mon esprit. Je lui prends la main et la serre quelques instants. Cela me rassure en m’apeurant en même temps. Que suis-je en train de faire ? Je ne sais pas.
Je ne lâche pas sa main et boit mon verre d’eau tranquillement. Quelle drôle de situation tout de même. Je touche son front après avoir posé mon verre. Il est encore un peu chaud, mais moins qu’avant. Elle devait avoir de la fièvre… Mais la fièvre ne peut pas baisser comme ça d’un coup ? Si ? En vérité, je n’ai pas souvent été malade ; je ne m’en souviens plus. Quoi qu’il en soit, elle est passée, je crois. Et à moins qu’un nouveau pic ne se manifeste, je crois qu’elle est guérie.
Je suis contente. Vraiment contente. Je ne sais pas trop pourquoi. Il y a bien des choses que je ne m’explique pas ces temps-ci. Je lâche finalement sa main et m’adosse au mur.
Adélie et Adeline. Toutes deux vingt ans. Je regarde à nouveau le dossier… Adélie Roche. Adeline Rose. Coïncidences ? Elles seraient énormes alors. C’est drôle… Elle me ressemble et pourtant elle est si différente.

Elle est comme ma sœur, comme mon double. Je ne sais pas trop comment expliquer ça. Je n’ai aucun talent pour, mais je m’efforce. Disons que les différences font que nous ne sommes pas pareilles, mais les multiples ressemblances, autre que par le nom et l’âge, notamment, font que je me retrouve un peu en elle.
Je ne pense pas que je devrais lui en parler. Elle rirait, même si ce n’est pas son genre. Oh oui, elle rirait peut-être même aux éclats. Ou alors elle aurait peur. Peur de ce que je pense, de ce que je pourrais penser. Etrange être que l’humain. Selon l’individu, il peut réagir si différemment que c’en est fascinant et effrayant. Personne encore n’a pu déterminer comment recréer un humain à partir de presque rien. Bien sûr, ils ont réussi à adapter le système de la vie, mais jamais à le recréer entièrement. Ce n’est pas étonnant. Il y a tellement de caractéristiques à l’humain que les recherches n’aboutiront pas avant plusieurs dizaines d’années.
Je crois que je divague un peu. Je n’ai toujours pas lâché la main d’Adélie. Elle est si petite, si froide, que je la serre un peu plus pour la réchauffer. Elle est comme une enfant et pourtant, c’est une adulte. Certains diront qu’elle n’a rien à faire dans leur monde, mais je crois plutôt qu’elle doit juste se faire sa place. Une petite place bien à elle que personne ne pourrait prendre. L’on dit que personne n’est irremplaçable, mais je crois que dans le cœur des gens, cette règle est remise en question. Je me souviens que maman me disait souvent que chacun était unique. Je crois qu’elle avait raison, personne ne peut remplacer une personne chère.
Je caresse doucement les cheveux d’Adélie et je me replace dos au mur, tentant de m’endormir tant bien que mal. De toute façon, il vaut mieux que je reste éveillée, si tout à coup elle fait quelque chose d’inattendu ou qu’il se passe quelque chose d’inattendu…
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MessageSujet: Re: Vertige [Adeline]   Vertige [Adeline] Icon_minitimeDim 26 Oct - 17:43

Légère déception, la réaction de la gardienne n'est pas aussi impressionnante que ce à quoi je m'attendais. Elle me sourit, avant de dire simplement que nos noms se ressemblent. C'est moi qui m'emballe un peu vite, je crois. Oui, nos noms sont proches. Oui, nous avons le même âge. Oui, elle me ressemble un peu, d'après le peu que je sais d'elle. Et alors ? Quelle importance ? Je réagis comme une gamine à ce que la vie met sur mon chemin. Voilà, nous avons le même prénom. C'est tout. Des prénoms à la mode, peut-être. Ou bien des parents aux goûts semblables. Mais de toute façon, elle est mon double, alors je ne vois pas pourquoi elle devrait être étonnée. Il n'y a que moi pour m'attacher à des détails aussi futiles. Sans doute. Qui d'autre ?
Mais quand même...
C'est troublant, ne trouvez-vous pas ? Autant de coïncidences... Nous sommes toutes les deux dans la même prison, même si elle n'est pas prisonnière. Au fond, je n'aurais pas du l'être, moi. Il aurait du y avoir deux gardiennes et non une gardienne et une prisonnière. Mon double ? Pourquoi avons-nous été placées sur le chemin l'une de l'autre ? J'ai beau me dire qu'il n'y a rien d'exceptionnel dans notre rencontre et dans les similitudes qui existent entre nous, je suis troublée. Et d'ailleurs, je pense que ça doit se voir sur mon visage. J'ai tendance à oublier comment cacher mes émotions, depuis quelques temps. Du moins quand je fais face à autrui, ce qui est relativement rare, il faut bien l'avouer. La politique de l'autruche, c'est moi. Mais bref, on s'en fout, de ça. Pour l'instant, ce qui importe – oui, enfin je me comprends – c'est l'étrangeté de la situation. Non, sérieusement, réfléchissez ! Bon, physiquement, on n'est pas identiques. Elle n'est pas très grande, elle a des traits fins, elle ne fait pas vieille, et on a le même âge. Mais ça s'arrête là. Mais c'est plutôt... Tout le reste. Enfin non, parce qu'elle a l'air de se maîtriser beaucoup mieux que moi. Et d'avoir moins peur, aussi. Mais c'est comme une aura, je trouve. J'ai du mal à expliquer, mais toutes ces petites choses que je vois depuis notre rencontre. Ça me trouble.
Et si elle était ma sœur jumelle et que je l'ignorais ? Après le double, la sœur. Je divague. Apparemment, la pseudo-fièvre qui m'habite me joue de mauvais tours. Il est temps que je dorme... Pour fuir ces idées bizarres. Adeline est juste une gardienne de cette prison. Je suis juste une prisonnière. Aucun lien entre nous, c'est évident. Je ne veux pas faire part de mes doutes à Adeline. C'est hors de question. Elle me prendrait pour une folle, ce que je suis peut-être. Et déjà qu'elle doit me trouver pitoyable... Je crois que ça suffit amplement. Je n'ai pas envie d'être cataloguée comme une... tarée ?
Chut.
Il faut que j'arrête de penser comme je le fais. Mes conneries m'ont menée au fond d'un couloir obscur après le couvre-feu, preuve que c'est nocif. Je ne veux pas que ça recommence. J'en ai assez fait pour aujourd'hui. Une fois de plus, j'aurais mieux fait de rester couchée. Et puis ce vertige... Je ne l'ai pas oublié, et je sens qu'il n'est pas vraiment loin de moi. Je sens bien qu'il est capable de recommencer à me faire tanguer. Je n'aime pas avoir le vertige. Je voudrais dormir...

Et d'ailleurs, comme pour faire écho à ce désir de fuite, Adeline me demande – assez soudainement – si je veux dormir. Je meurs d'envie de lui dire que oui, je veux dormir. M'oublier dans le sommeil, c'est quelque chose que je fais bien volontiers, il n'est généralement pas nécessaire de m'y forcer. Cela dit, ça me gène toujours d'accepter. Déjà, j'ignore si j'ai le droit de passer la nuit ici, même si c'est fort tentant. Et puis... Et puis merde, j'ai pas à dormir alors qu'elle s'inquiète pour moi ! Je n'ai pas le droit de fuir ainsi, sans cesse... Je suis décidément bien égoïste. Les gens s'occupent de moi, me protègent, me rassurent... cependant que je fuis. Continuellement. Ils n'ont pas à être aussi patients avec moi, je ne le mérite pas ! Ils feraient tous mieux de me secouer un bon coup, ça me remettrait peut-être les idées en place... Nausée. J'ai envie de me lever brusquement et de partir en courant. Pour aller où. Aucune idée. Je veux juste... Être ailleurs. Loin d'ici. Je m'écœure. Je ne fais même pas d'efforts, je suis juste lâche. Lâche et parfaitement méprisable. Ma simple existence nuit sans arrêt à mon entourage. Tuez-moi, vous verrez... Tout ira mieux, je vous l'assure.
Je ferme les yeux l'espace d'un instant, m'efforçant de retenir les larmes qui menacent de couler. Quelle idiote ! J'ouvre à nouveau les yeux, me demandant pourquoi elle ne me met pas ce coup que je voudrais me mettre, moi. À la place de ce coup que je mérite amplement, elle me tend un verre d'eau. Je le prends avec ces tremblements qui ne veulent pas me laisser tranquille, et puis je bois... Lentement. Ça me fait gagner du temps. Je n'ai toujours pas répondu à la gardienne. Pendant que je bois, je remarque qu'elle va placer une chaise contre la porte, sous la poignée. Empêcher que quelqu'un d'autre ne puisse l'ouvrir. Quelque part, ça me rassure. Je n'aime pas l'idée que de m'abandonner au sommeil dans un endroit où n'importe qui peut entrer. Je termine mon verre, le pose à côté, là où je trouve de la place.

« Oui... »

Je m'en veux. Comme toujours. Déjà, ce n'est même pas sûr qu'elle comprenne pourquoi j'ai dit ça soudainement. Évidemment, j'ai répondu à sa question. Oui, je veux dormir. Mais je n'aurais pas du répondre par la positive. Je me terre un peu plus à chacun de mes mots. Je suis en train de creuser ma tombe à grands coups de connerie. Mon psy n'a rien compris. Plutôt que m'envoyer en prison, il aurait mieux fait de me faire euthanasier. Pour le bien de l'humanité. Cela dit, c'est me surestimer que de croire que ma mort aurait une influence aussi grande que cela. Non ? Si, sans doute... En fait, ma disparition n'aurait pas un effet bien visible... Mais ça enlèverait peut-être un peu de la médiocrité de l'humanité. Un peu... Un bénéfice, tout de même. Un bénéfice invisible, inaperçu. Mais néanmoins bien existant. Non, je ne suis pas... pessimiste. Enfin si, un peu, certes. Mais je suis surtout réaliste. C'est certain.
Elle me souhaite une bonne nuit. C'est trop tard, le mal est fait.

« Merci... Vous aussi. »

Une voix basse, à l'agonie. Je m'en veux vraiment. Beaucoup. Mais il est trop tard, alors dormons. C'est cela. Comme toujours.
Quelle idiote.
Au fait, et elle... Où va-t-elle dormir ? Dans le lit de son voisin de chambre ? Elle n'a pas bougé, elle est toujours assise sur sa chaise en rotin. Elle ne va tout de même pas dormir assise alors que je suis dans son lit ?! J'ai l'impression de prendre une place qui ne devrait pas être pour moi. De quel droit est-ce que je la prive de son lit ? Je me recule contre le mur, comme pour l'inviter à dormir un peu plus confortablement, elle aussi. Je n'aime pas trop dormir dans le même lit qu'un autre, mais je ne veux pas la laisser assise sur cette chaise. Et puis je l'ai fait il n'y a pas si longtemps, je n'en suis pas morte. Il semble cependant qu'Adeline ne remarque pas cette invitation muette, car au bout de quelques minutes seulement, risquant un coup d'œil discret vers elle, je constate qu'elle semble... endormie. Et je ne l'avais même pas vu auparavant, preuve que je ne m'intéresse qu'à ma petite personne, comme toujours. Comme si j'étais la seule chose qui importait. Chose... C'est bien le mot, précisément.
La nausée est toujours là, je crois qu'elle a décidé de s'installer. Et puis j'ai froid, aussi... Mais le front en feu. Je devrais peut-être me lever, et m'éclipser... Ou bien la réveiller et lui dire de prendre sa place dans son lit... Mais je n'ose ni partir, de peur de la vexer, ni la réveiller. Pitoyable. Allez, quoi, c'est pas comme si c'était rien. Je suis une squatteuse, je n'ai rien à faire là, et je ne suis même pas capable de juste me lever ou dire un mot... Cruche ! J'ai envie de m'insulter à n'en plus finir. J'ai envie de souffrir encore et encore... Mais j'ai peur de la réveiller, je ne veux pas être taxée de suicidaire. Oui, j'ai des pensées un peu morbides, parfois... Mais c'est rare. Et puis... De toute façon, je suis trop lâche pour aller au-delà de la simple idée.
Malgré tout, je regarde autour de moi, à la recherche de quelque chose de silencieux qui pourrait me faire du mal... Un peu. Rien. Les larmes coulent. Impuissance, débilité. Je ne suis rien. Je serre les poings, mes ongles s'enfoncent dans ma peau. Mais je n'ai pas assez de force pour me blesser. Il n'y a rien d'autre qu'une douleur lancinante, et puis plus tard, quelques traces, gravées dans la peau. Ne pas pleurer, ne pas pleurer. Je suis un déchet, un rien. Je ferme les yeux. Dormir pour oublier... Toujours.
Mais le sommeil refuse de venir à moi. Mes yeux demeurent clos, je me tourne et me retourne. Morphée, prends-moi auprès de toi ! Mais rien.

Et puis je crois que j'ai fini par dormir un peu, car je sens soudain que je me réveille. Je ne sais pas de quoi j'ai rêvé, comme d'habitude. Je ne sais jamais de quoi je rêve. Si ça se trouve, je n'ai pas de songes. Je n'ouvre pas les yeux, je sens des mains contre mes mains. Elles sont douces et tendres. Je fais mine de dormir. Je frissonne légèrement lorsque je sens que son autre main est maintenant posée sur mon front. Sa main est fraîche, mais pas froide. Est-ce qu'elle a vraiment dormi ? Elle doit avoir mal au dos... Je me sens coupable d'être dans son lit. A-t-elle vu que j'étais tout contre le mur ? A-t-elle compris ce que je voulais lui dire en faisant cela ? Le contact épidermique entre nous se brise, et puis... Plus rien. Non, elle n'a pas compris. Mais moi je ne veux pas dormir à sa place. Je serre les dents, serre les poings sous la couverture. Que fait-elle, à présent ? Je doute qu'elle se soit endormie à nouveau... Ça ne doit pas être vraiment confortable. Pourquoi ne s'est-elle pas installée dans le lit ? Est-ce que... Est-ce qu'elle n'aime pas le contact d'autrui ? Est-ce que je lui fais peur ? C'est vrai, je suis une prisonnière... censée avoir tué, du reste.
Après quelques instants de réflexion, je sens que sa main reprend sa place contre la mienne avant de la serrer. Elle me caresse ensuite les cheveux. Et puis une nouvelle fois, plus rien. Je n'ose toujours pas ouvrir les yeux. J'essaie de m'endormir une nouvelle fois... Mais non. Décidément, je n'arriverai jamais à sombrer à l'instant où je le veux. Mouais enfin je crois que je vais éviter de recommencer à disserter sur tous mes défauts, on y passerait la nuit. D'un côté, c'est à croire que je trouve cela distrayant, vu que je passe un peu ma vie à ça. Ouais, en fait je crois que je n'ai rien de mieux à faire. C'est passionnant, n'est-ce pas ? Quelle médiocrité, quelle nullité ! Non, c'est vrai, regardez la vérité en face... Je suis lamentable. Et le pire, c'est que j'en suis parfaitement consciente et que je ne fais rien pour changer ça.
Je laisse échapper une sorte de gémissement proche du grognement. Haine, détresse ? Un peu des deux sans doute. Je serre à nouveau le poing sous la couverture – celui qui est du côté du mur, donc – jusqu'à en avoir assez mal pour... avoir envie de hurler, peut-être. Envie dont je ne fais rien. Mais tout de même. Je ne sais pas ce que j'ai depuis ce matin – enfin depuis la dernière fois que je me suis levée, disons, puisque je ne sais pas quelle heure il est – mais je m'en veux terriblement. Plus que certains jours. C'est ce malaise... Ça arrive. C'est chiant mais ça arrive.

Coma.
Et puis le jour qui me brûle les yeux à travers les paupières. Il doit être tôt, je pense, car je ne m'éveille jamais bien tard. Mais une mince quantité de lumière suffit généralement à m'empêcher de dormir. J'ai mal aux yeux, j'ai mal partout. Et je crois que je suis toujours aussi fatiguée. Mes yeux sont toujours fermés, je n'ai pas bougé. Est-ce qu'Adeline a enfin pris place dans son lit ? J'essaie de sentir une source de chaleur à mes côtés, ou bien une pente dans le matelas qui indiquerait que je ne suis pas seule. Je préfèrerais amplement qu'elle soit là. Pour la bonne conscience, vous comprenez... Je suis toujours tout contre le mur, donc elle a pu s'installer, si elle l'a voulu. Je garde encore les yeux fermés, j'ai envie de m'endormir à nouveau jusqu'à ce que le jour soit largement levé. Histoire de... je sais pas. De pas avoir à m'expliquer un peu plus sur la raison de ma présence dans les sous-sols ou du fait que je ne veuille pas retourner dans ma cellule. Ne pas avoir à expliquer pourquoi je suis aussi fatiguée... Enfin tout ça, quoi. Allez, endors-toi ! Tout ce que je veux, c'est disparaître. De n'importe quelle manière que ce soit. Juste...
Ne plus être là.
Fuir, encore et toujours.
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MessageSujet: Re: Vertige [Adeline]   Vertige [Adeline] Icon_minitimeSam 15 Nov - 12:38

Je ne sais pas quoi penser. Je me mets à traiter une prisonnière meurtrière, d’après son dossier –dont je ne crois pas un mot–, comme ma propre sœur. Ou plutôt comme je me traiterais moi-même, si j’étais une autre personne. En réalité, je me comporte avec elle comme j’aimerais parfois que l’on se comporte avec moi.
Mais je sais bien que personne ne le fera. Après tout, ceux qui me connaissent savent que je suis une meurtrière et, pour les autres, je suis une gardienne. Je dois me débrouiller seule, sans aide extérieure, sans réconfort. Pourtant, j’en puise tant que je peux dans cette petite sœur. Qui sait combien de temps ce moment d’évasion va-t-il durer ? Je me promets d’en profiter le plus possible avant qu’il ne se termine.

Je caresse ses cheveux, je parcoure ses mains, je passe mes doigts sur son visage. Je ne sais pas ce qui me prend, mais elle me semble tellement pure quand elle dort, que j’ai envie de tout mémoriser d’elle. Subitement, mes caresses s’arrêtent. Je me demande pourquoi elle est ici et comment elle peut y survivre. Je relis sa fiche de prisonnière et la parcourt en vitesse jusqu’à la rubrique
‘Crime commis’. Il y est inscrit ‘Homicide’, en toutes lettres et ressortant de la blancheur de la feuille. Un simple mot qui l’a précipité en enfer. Je ne sais si elle a menti ou si elle a vraiment tué. Pourquoi l’aurait-elle fait ?
Je la regarde soudain avec un regard un peu plus suspicieux. Je me dis que si elle l’a déjà fait, elle pourrait le refaire. Un meurtrier qui regrette son acte n’est pas souvent dans ce genre de prison. Mais elle me semble si pure, si enfantine, que j’en conclus qu’il ne peut s’agir que d’une erreur ou d’un homicide unique et obligatoire.

Je m’en veux d’avoir penser qu’elle aurait pu tuer pour le plaisir ou je ne sais quoi. Je crois que je suis prête à m’excuser pour le simple fait d’avoir eu ces pensées morbides. Mais elle a le teint blanchâtre, la peau blafarde. Je ne sais pas si cet air sinistre qui plane sur ses traits fait partie intégrante de mon imagination ou s’il est bien réel. La Mort plane au-dessus d’elle, c’est indéniable, mais est-ce qu’elle vient parce qu’Adélie lui a demandé de l’emporter ou parce qu’elle vient emporter quelqu’un d’autre ?
Je ne sais pas si je me comprends moi-même, à penser ainsi. Je vais finir par devenir folle, si cela ne s’est pas encore produit. Peu m’importe.

Je regarde Adélie et perçois quelques mouvements de sa part. Elle vient de se réveiller, probablement à cause de moi. Je n’ai rien de ce que l’on peut attendre habituellement au réveil. Mais que peut-on attendre lorsque l’on est prisonnier ? Il est vrai que je n’ai jamais vécu la vie d’un détenu. Je me demande comment elle peut se passer…
Je m’approche de la jeune femme, posant ma main sur son front pour vérifier que la fièvre a bien disparu. Puis, je souris et lui murmure quelques mots :


« Bonjour, vous avez… bien dormi ? »

Personnellement, j’ai très mal dormi. Je sais que je peux dormir n’importe où, mais cela n’implique pas vraiment un bon sommeil. Or, celui-là était très désagréable, mais je ne le dirai jamais. Quelle incohérence ce serait, de me plaindre d’avoir mal dormi après avoir laissé mon lit à Adélie ! Je m’y assieds pourtant, tentant de retrouver un semblant de confort avant de reprendre mon travail de gardienne.
Adélie s’est plaquée contre le mur du fond, comme si elle me laissait de la place pour me coucher. Elle est vraiment adorable, à penser tout le temps aux autres, négligeant son propre bonheur. Je tente de la replacer sans trop la bousculer, juste pour qu’elle n’ait pas trop de douleurs.
Ma petite sœur. Je pense que tout aurait été différent si j’avais eu ma petite sœur. J’aurais quitté mon père sans le tuer. Je n’aurais pas pris ce pistolet, pour ne pas effrayer ma petite sœur. Je l’aurais protégée jusqu’à la fin… Je l’aurais défendue jusqu’au bout. Mais je n’ai pas eu ma petite sœur.

Mais elle est enfin là. J’ai ma petite sœur à côté de moi. Même de loin, je veillerai sur elle. Je sais bien que cela paraît un peu idiot comme résolution, surtout qu’elle n’est pas réellement ma petite sœur, mais tant pis. J’en ai décidé ainsi et, peu importe qu’elle le veuille ou non, je le ferai.
Je prends de l’eau, à moitié pure et à moitié belle, du robinet où le calcaire semble s’être accumulé depuis des années. Mais cela me suffit pour me réveiller un peu plus et commencer la journée, qui ressemblera tant aux autres. Je sers un nouveau verre et le pose par terre, à côté du lit, pour le lever de la jeune femme.
Ma tête tombe dans mes mains et je plonge mes yeux dans leurs lignes, pour quelques instants seulement. Je me relève ensuite et époussète ma robe noire. Des petits minons de poussière tombent à terre et s’éparpillent en petits fragments. Je regarde ce phénomène quelques secondes durant, avant de m’étirer en poussant un léger gémissement.
Je m’adosse au mur et attend qu’Adélie se lève, pour lui dire qu’il faudra qu’elle retourne à sa vie de tous les jours. Cela me fend le cœur de la laisser ainsi : elle me semble si fragile… Mais je sais qu’un gardien ne va pas tarder à arriver pour ouvrir les cellules avec moi, puis je ferai une nouvelle ronde et tout le fatras qui vient avec la définition d’une
‘journée de gardien’.

Comme d’habitude, je joue avec mon chapeau, fixant l’intérieur de celui-ci et attendant tranquillement. Le tissu passe de doigt en doigt, habilement et semblant couler comme de l’eau. Je me plais à le voir se trémousser entre mes doigts, lorsque je m’arrête soudainement, le saisissant à pleine main.
J’entends déjà, de l’autre côté du mur, des pas qui se rapprochent. Je ne reconnais pas ce pas léger et aérien, mais ils s’éloignent peu après. Cela devait sans doute être une infirmière ou je ne sais quelle employée féminine. Peu importe. J’attends sans sourciller voir le petit soleil se lever dans les yeux d’Adélie.
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Adélie Roche
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MessageSujet: Re: Vertige [Adeline]   Vertige [Adeline] Icon_minitimeDim 23 Nov - 13:50

J'ouvre finalement les yeux sur quelques mots de la gardienne. Non, personne à mes côtés. Elle semble fatiguée, je crois qu'elle n'a pas bien dormi. Non, elle n'a pas pris place dans le lit. La peur ? Peut-être qu'elle ne voit en moi qu'une meurtrière méprisable, capable de l'assassiner dans son sommeil. Méprisable, je le suis. Quant au reste... Je ne crois pas être capable de tuer qui que ce soit. Et pourquoi la tuerais-je ? Elle a été gentille avec moi, non ? Bon, d'un côté, il y a sûrement des gens qui tueraient des innocents. Enfin je crois... Je sais pas trop, en fait. Je ne suis pas apte à en juger. Qui suis-je pour oser critiquer autrui ? Je ne suis rien ni personne, juste une paumée qui a pris le lit d'une autre. Une squatteuse ? Ouais, quelque chose comme ça. Et maintenant, Adeline a mal au dos, sans doute. Et c'est de ma faute. Elle doit m'en vouloir. Pourquoi n'a-t-elle pas voulu dormir dans son lit ? Elle me souhaite un bon jour, me demande si j'ai bien dormi. Le tout d'une voix enjouée, comme pour me faire oublier qu'elle a mal dormi et que je ne devrais pas être là. Ce jour ne sera pas meilleur que les autres, désolée... Désolée, parce que vous avez fait ce que vous avez pu mais que cela ne suffira pas à changer ma vie.
Adeline s'assoit au bord du lit et s'efforce de me replacer au milieu de celui-ci, montrant ainsi clairement qu'elle ne voulait pas de la place que je lui offre. Est-ce parce que je lui fais peur, parce qu'elle ne m'aime pas, ou tout simplement parce qu'elle veut que je sois bien installée ? Je ne saurais le dire, mais j'ai envie de croire à ma troisième hypothèse. Elle est la plus douce je crois. Mais quand même, elle a du me trouver un peu bizarre... J'espère qu'elle n'a pas peur de moi, tout de même. Je ne sais pas si une personne normale est supposée s'isoler dans un couloir un peu glauque ou se taper la tête contre le mur. Je ne sais pas non plus si une personne normale est censée ne pas pouvoir aligner trois mots en une phrase cohérente. Peut-être que oui, comment le saurais-je alors que je suis mon seul référentiel ? Je me demande souvent si les autres se posent les mêmes questions inutiles que moi. Tout cela est-il sans intérêt pour le commun des mortels ? Non pas que je veuille me démarquer de mes semblables, mais j'ai parfois l'impression de me prendre la tête pour des histoires bien futiles.
Bref.
Dehors, il fait à peine jour. Je n'ai pas dormi plus tard que d'habitude. Il ne fait pas spécialement beau, mais il ne pleut pas et il n'y a pas trop de vent. Un jour normal, en somme... Quoi qu'il en soit, je crois que les chambres du personnel sont mieux isolées que les cellules des prisonniers. Ce qui serait assez normal, il faut bien le reconnaître. Et puis je crois que la couverture d'Adeline est un peu plus épaisse que la mienne, je ne sens pas le froid. Je me sens vraiment gênée d'être dans ce lit, à présent que je sais que la gardienne a sans doute très mal dormi et qu'elle a peut-être eu froid. La sensation que je ne devrais pas être là enfle et grandit en moi. Retourner à ma cellule, voilà ce que je dois faire. À cause de moi, elle va devoir travailler en étant fatiguée, et peut-être qu'elle sera moins efficace. Tout ça par ma faute. Elle risque de m'en vouloir, c'est clair ! Je m'assois dans le lit assez brusquement, les joues en feu, et je réponds enfin, la voix toujours un peu rauque :

« Je... Oui, merci... D... désolée... »

Pourquoi désolée ? Mais c'est évident, voyons ! Pourquoi aurais-je le droit de dormir convenablement alors que j'ai pris ce droit à une autre ? Et pire que cela, je n'ai même pas bien dormi. J'aurais mieux fait de lui laisser son lit, c'est certain. Au moins, l'une de nous deux aurait pu être reposée. Je m'en veux vraiment d'être là, il faut que je m'en aille. Je dois la déranger, elle a sûrement beaucoup de choses à faire, des choses nettement plus intéressantes que s'occuper d'une idiote telle que moi, même pas fichue de parler ou de faire quoi que ce soit. Je reste quelques instants immobile et silencieuse. La gardienne se lève et va se servir un verre d'eau, avant de m'en servir un autre. Je crois que je n'aurais jamais autant bu de toute ma vie. Peut-être parce que je ne bois pas assez, en temps normal... Je prends le verre sans un mot, et je bois. Ça me fait du bien, je devrais boire davantage. Adeline époussette un peu sa robe, s'étire et va s'appuyer contre le mur. Je reste encore quelques instants assise, ne sachant trop que faire, et puis je me lève complètement, un peu paniquée à l'idée de déplaire à Adeline à n'importe quel moment que ce soit.

« Je... Désolée... Je dois... y retourner... 'vais vous laisser... N'est-ce pas ? »

Une phrase hachée, comme toujours. Est-ce dont tout ce que je suis capable d'articuler ? Trois pauvres mots séparés par des hésitations et des silences ? Une phrase dénuée de tout sens pour quiconque n'est pas dans ma tête à cet instant précis, voilà ce que je viens de prononcer. Quelle idiote, sérieusement ! On doit vraiment me prendre pour une fille à qui il manque une case. D'ailleurs, ce n'est pas totalement impossible. Non, c'est vrai, regardez la réalité en face, il y a quelque chose qui ne va pas, dans ma tête. Une malformation congénitale, ou alors juste ma connerie que personne n'a empêché de grandir, j'en sais rien, mais toujours est-il que c'est bien là. En plus, mon humeur changeante n'arrange rien. Avant hier, ça allait à peu près. Enfin disons que je suis restée bien gentiment dans ma cellule, à faire semblant de dormir ou à dormir, selon les moments. De toute façon, je n'ai rien d'autre à faire, c'est vite vu, étant donné que je ne veux pas sortir. Mais depuis hier matin, je me fais l'impression d'une dépressive, et je dois dire que c'est assez désagréable. Pourquoi ne puis-je pas tout simplement me poser ? Oublier toutes ces imbécilités qui ne font que m'enfoncer davantage encore dans ce que je déteste ? Il y en a d'autres qui y parviennent, pourquoi pas moi ? Parce que je suis une incapable ? Parce que je suis trop lâche pour me lancer ? Parce que je me complais dans ma douleur, peut-être... Ne dit-on pas que celui qui veut, peut ? C'est bien la preuve que je ne veux pas, même si cette absence de volonté n'est qu'inconsciente.
Bref.
Pauvre Adeline, quand même... Je dois l'assommer, avec mon malaise et mes bizarreries. Bon. Revenons-en à ma phrase dénuée de sens, que j'essaie de l'expliquer... Au moins à moi, du moins. En fait, c'est surtout les derniers mots qui doivent paraître énigmatiques, car ils n'ont rien à voir avec ce qui précède. Je vais vous laisser, n'est-ce pas ? Non non, ce n'est pas ainsi qu'il faut le comprendre. Je crois que je cherchais surtout son approbation au fait qu'il faille que je m'en aille. Comme s'il fallait que ce fut elle qui prenne la décision à ma place. Je ne voudrais pas avoir l'air de partir comme une voleuse après lui avoir volé son sommeil, ça non. C'est elle la gardienne, moi je ne suis rien d'autre qu'une prisonnière. Et en arrêtant ma phrase précédente au mot rien, ça marche aussi. Je veux donc que ce soit elle qui décide ce que j'ai à faire. Un peu comme payer une dette, vous voyez ? Ouais enfin je sais pas, je m'embrouille moi-même dans mes explications, à croire que ce que je dis n'a pas même de sens pour moi. Quand je vous dis que je suis bizarre, ce n'est pas pour rien, je vous assure.

Bon mais du coup, à présent que j'ai dit cette phrase, je crois que je suis encore plus paniquée qu'avant. Et si elle se mettait à rire ? Et si elle me disait que non, elle ne veut pas que je parte, et qu'elle me donne des ordres bizarres ? Face à elle, je n'ai aucun droit, ici, c'est ce que j'ai cru comprendre. Calme-toi, Adélie... Ton double, tu te souviens ? Un double hallucinatoire ne te ferait pas de mal, n'est-ce pas ? Je ne sais plus trop quoi penser. Je m'en veux d'imaginer seulement qu'Adeline puisse me faire du mal. C'est méchant comme pensées, non ? Est-ce que j'aimerais que l'on me croie dangereuse ? Non, évidemment. Bien sûr que non. Alors je n'ai pas à penser ça d'autrui. C'est à cause de mon imagination délurée et un peu bizarre que j'en viens à me sentir mal en présence d'autres humains, j'en suis sûre. En fait, au fond, je dois être un peu misanthrope. Ou un peu beaucoup, même. Pourtant, les gens ne m'ont rien fait, je n'ai aucune raison de ne pas les aimer. Peut-être que je suis foncièrement mauvaise, finalement. Ce qui expliquerait que la vie m'ait menée en prison. Oui, ça doit être ça, je dois être quelqu'un de détestable.
Mais j'aimerais tant être gentille et réussir à aimer les gens... Ça ne me plait pas, d'être misanthrope, oh non !

Soudain, des pas dans le couloir. Je regarde vers la porte, de plus en plus paniquée. Est-ce que j'ai vraiment le droit d'être là ? Et si c'était le voisin de chambre d'Adeline, et que ça ne lui plaisait pas de me trouver ici ? C'est peut-être quelqu'un qui va se moquer de moi, c'est certain ! Bordel, mais calme-toi ! Quand quelque chose de nouveau apparaît, j'ai un peu tendance à oublier que le monde entier n'est pas contre moi. Parano, moi ? Si peu... Mais tout de même, je crois que je ne devrais pas être ici... À l'appel, ils vont se rendre compte que je ne suis pas avec les autres, et je vais attirer des ennuis à Adeline. Mince, c'est pas ce que je voulais, pourtant ! Mais elle risque de le croire, on ne sait jamais... C'est vrai, pourquoi me considèrerait-elle autrement que n'importe quel assassin de cette prison ? Je suis supposée être comme eux, non ? Sur mon dossier il est écrit que j'ai tué. Comment pourrait-elle seulement imaginer qu'il n'en est rien ? À aucun moment je n'ai parlé d'un procès au cours duquel j'aurais juré de mon innocence. Car il n'y a pas eu de procès, mais cela elle ne doit pas le savoir. Si ça se trouve, elle n'a pas lu mon dossier. Pourquoi les gardiens perdraient-ils leur temps en paperasse ? Qu'est-ce que cela pourrait changer, que je sois innocente ou non ? Je suis ici, c'est tout ce qui compte. Il est impossible de deviner qui a tué et qui n'a pas tué.
Je lance un regard un peu effrayé à la gardienne, comme pour lui demander ce que je dois faire. Et si on venait dans cette chambre ? J'ai bien envie de me cacher, au cas où... Mais Adeline n'aimerait sans doute pas. Ça lui ferait sans doute plus d'ennuis encore.
Et maintenant, quoi ?
Je ne sais même pas comment retourner à ma cellule, de toute façon.
Alors j'attends.
Dites-moi que faire, Adeline.
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